Chapitre 2. – Devoir de mémoire

Une série de feuillets volants de la campagne de jeu de rôle « … de Grands Héros dramatiques ? Juste des fous (du roi) ! » (cercle rôlistique privé).

[Alphonse Daudet a dit : « Du reste, ce fragment de ma vie que je passe sous silence, le lecteur ne perdra rien à ne pas le connaître. »]

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CHAPITRE 2. SHIKKAYA

(Devoir de mémoire)
Pôle – Circa 1031 dN, Mois des Séparations

Une année et quelques gardes avaient fui depuis le dernier Tournoi des Mille Lunes, le dernier tout court. Shikkaya aussi à sa manière. À la fin, après un silence assourdissant que nul n’avait estimé nécessaire de concerter, tout le monde s’était séparé. Eux aussi à leur manière. Opiter, l’écailleux court sur pattes, Julio Giovanni, *pater familias* l’opulent bon jules, et elle. Chacun avait tranché dans ses revers de fortune, leurs chairs communes, plus souvent subies qu’embrassées. Avant qu’il ne fût trop tard. Avant que, comme à chaque fois, toujours un but égoïste n’en amenât un autre, puis un nouveau, et que tous ces faits – d’Arme, car bien souvent ainsi sont faites les histoires d’un Porteur –, puissent de nouveau causer certaines vieilles blessures. À défaut de s’en séparer.
« Certains secrets doivent rester des secrets… », avait été en soi une belle conclusion. D’intuition.
Et pour Shikkaya, le sablier s’écoulait trop vite. Une pause. Salutaire, à défaut de salvatrice. Lui avait été en soi une belle suite. De logique.
Les sentiments de l’attention dont elle s’était écartée, comme ceux des hommes, se braquaient de nouveau sur elle. Le hasard – si tant est que l’on acceptât son existence – n’y était pour rien, cette fois encore. Les répercussions !… d'avoir été aperçue à la table des seigneurs et membres du jury ; d'avoir été amie, de gré ou de force, avec des légendes qui venaient à appartenir de moins en moins au passé ; d’en être également.
Puis les on-dit ne se laissaient pas abuser par quelques tours de passe-passe :
— C’est la Porteuse qui connaissait la fusionnée…
— La fusionnée ?… tu veux parler de celle qui n’est pas censée exister ?
— Oui, celle-là même.
— Oh, merde alors…
— Et moi, j’crois que son Arme, c’est la même Arme qu’avait le protecteur du Héros de l’Hégémonie, le tueur de Vohr.
— Oh, merde alors…
— Elle doit être sacrément bonne pour être tout ça à la fois.
— Ça oui, elle est sacrément bonne !
Difficile, que la nouveauté de ce statut singulier comme pluriel n'eussent pas excité de telles rumeurs d’envies et d’intérêts, que Shikkaya ne tarda pas à s’en apercevoir. Et à justifier d’autant plus sa nécessité déjà latente de fuir.
Mais où aller ? Naturellement les déserts de sable de la Nation – sa Nation ? – parsemés de leurs oasis aux luttes des mille et une grandes maisons perdus dans l’horizon chauffé à blanc auraient en soi été une réponse. L’évidence. Mais dans l’immédiat certainement pas la solution. Sauf à la souhaiter définitive. Car si Shikkaya sentait bien la différence d’une simple vraisemblance à une certitude entière ; à y retourner, en l’état, ce n'aurait pas été que quelques souvenirs de cendres qui l’auraient accueillie. Elle le savait.
Il la surveillait.
Il l’utilisait.
Il précipitait sa ruine.
Le Scorpion Noir était devenu son funeste amant pernicieux, tourné en poison, au fond de ce corps empli par la douleur. Le serment les unissant…
Cependant, Shikkaya pouvait avancer avec une croyance relative, en se fiant aux bruits que les récents évènements faisaient, couronnée d’épines, que ce n’était plus qu’une question de temps ; bientôt, le sabre brisé se lèverait, le vent en cendres balayerait le palais des manigances, réduisant ses restes en Néant, et la source empoisonnée serait bue par des sables morts. Parfum de jasmin. Les souvenirs ont les bons maux.
— « Des justes et des pécheurs », lui, s’était-il rappelé à elle dans ses moments de doutes.
Lui, lui collait à l’âme, en guise de rempart. Seul le poison rampait dans ses veines, à la recherche d’une porte qu’il enfoncerait pour l’empêcher de grignoter chaque souvenir, en échange d’un peu de sa vie. Par défaut. À raison. Shikkaya avait continué de choisir le Serment de l’oubli. Dose par dose. Et par trop de fois déjà, elle avait dû accepter ses effets, que l’oubli le plus profond couvrait ses dissensions, ses malheurs et ses fautes. Combien en avait-elle oublié ? Cette pensée s’effaça.
Adam, le premier homme de sa famille, juste, l’équitable rédemption, celui qui aurait tout aussi bien pu se choisir pour nom Abdessalam, serviteur du salut, ou encore Abidi, l’espoir des esclaves. Adam son père et frère au sein des ‘Adjembad – la caste à la naissance oubliée. Adam, lui, qui avait tendu sa main et offert son savoir ; des Épices que l’on ne trouvait que dans les plus sombres marchés noirs par les nuits sans lunes, à demi ébruité ; la philosophie et l’envie de vivre aussi, lui avait-il enseigné ; une définition de la pénitence qui répondait à ceux qui, comme lui, le guerrier devenu occiseur devenu premier juste, s’étaient demandé si l’on pouvait se pardonner des actes et ne pas se pardonner des péchés. Adam, l’ancien et premier Porteur de son Dieu ; même si ça aussi, avait été oublié.
Là avait été son refuge. Là aurait été Khaled Al Sakhari. Quelques temps, et mois. Pour elle, et eux.
Naturellement, ils n’étaient pas dupes. Shikkaya et Dieu Valarion – qui répondait de moins en moins à son nom ; était-ce encore le sien ? – avaient parfaitement conscience qu’en se réfugiant chez les ‘Adjembad ils avançaient peut-être, et sûrement, comme les pions qu’ils étaient pour le Scorpion Noir. Un mouvement après l’autre. Placés sur son grand échiquier. Ne les avait-il pas remerciés d’être devenu un membre de cette inestimée et recluse famille oubliée ?
Mais justement, tôt ou bien trop tôt le serment viendrait irrévocablement à faire défaut, la douleur et l’oubli contrôleraient de nouveau sa raison, tant qu'il lui resterait un tant soit peu de volonté – propre – ils saisiraient les occasions. Comme ils l’avaient toujours fait. Leur posologie.
« Puis, chacun est libre, avec le temps et le savoir acquis, de rectifier selon son bon génie ou sa conscience les oublis hasardés ou incomplets de son passé », l’avait rasséréné Adam ; même s’il avait utilisé le terme « al Jinn », qui signifiait « Djinn » et non « génie » en vieux battrahaban.
Voilà ce à quoi Shikkaya avait oeuvré durant une année et quelques gardes. Gagner du temps et du savoir.
Aujourd’hui, il fut temps.
Ce bruit familier du vent pluvieux dans les saules se répandait comme un pleur lancinant au milieu du silence des vides.
Bientôt le jour parut : un soleil radieux se levait et dorait le feuillage déjà jauni par les premiers jours de l’automne.
Aguerrie, Shikkaya’Adjembad sauta à travers ses nouveaux souvenirs, les remercia, marcha tout droit dans la direction où la lumière avait brillé tout à l’heure.
Sa destinée.
— Des justes et des pécheurs, sourit-elle, avec un suave baiser, délicieusement au vent des humeurs divines.

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07 févr. 2017, 13:32

— « Qu’est ce qui te rend si souriante ? » se réveilla Dieu Valarion.
— Oh, peu de chose à vrai dire. Il est juste bon parfois de se satisfaire des petits instants d’éclaircie dans sa propre vie, pensa-t-elle.
Quelques feuilles mortes, encore vertes par endroit, voletaient çà et là en petits tourbillons dans la rue passante. Elles sautaient, montaient et chutaient au grès des vifs murmures venteux pour s’écraser mollement sur le sol et finir piétinées par un quelconque badaud qui n’avait que faire de la beauté automnale.
— Et peut-être aussi le fait que le remède commence à manquer, reprit-elle d’une pensée légère.
— « Et cela te fait sourire ? » beugla Dieu Valarion. « Pour autant que je sache, c’est l’unique moyen actuel pour ta survie, et cela te fait sourire ? »
— Cela fait plus d’un an maintenant que je subie cette existence d’agonie perpétuelle, mais cela ne fait que quelque mois que je l’accepte véritablement. Si je ne peux m’en soutirer, alors pourquoi ne pas l’embrasser ? répondit-elle simplement.
Dieu Valarion resta silencieux quelques instants et Shikkaya en profita pour continuer.
— Tu le sais comme moi que la solution s’est retrouvée sous nos yeux au Tournoi des Mille Lunes. La fusion d’un corps humain avec l’essence d’une Arme-Dieu ; Chi’po l’a dit, en trouvant un Porteur qui te correspondra, qui sera véritablement celui que tu aurais attendu ici sur ce monde.
Elle senti soudain un agacement profond surgir du Dieu mais elle reprit de plus belle.
— Oui mon ami, je sais que je ne pourrai arpenter cette voie. Nous avons par trop souvent été en contradiction sur de très nombreuses questions et je ne suis pas le genre de personne que tu app …
Sa pensée fut coupée par le Dieu :
— « Et maintenant tu la fermes impudente Porteuse. Penses-tu réellement que tu serais encore en vie si je ne t’appréciais pas ? Ne penses-tu pas que j’aurai depuis longtemps laissé ce poison te prendre ton être entier ? Tu es MA Porteuse » dit-il avec une lourde intensité. « Et tu le resteras tant que le destin n’en aura décidé autrement. Si cette solution est la seule existante en ce monde, alors NOUS chercherons un moyen d’y parvenir. »
Shikkaya avait ressenti la pression de Valarion à travers son crâne et était tétanisé. Puis il relâcha peu à peu son emprise sur elle.
— « Ton sort m’importe quoique tu en penses. Si nous avons des divergences d’opinion, dis-toi que c’est ce que j’aime chez toi. Ton indépendance et ta volonté. Mais ne remet jamais en question l’amour que je peux te porter. »
La jeune femme, qui était restée crispée de longues secondes, se détendit peu à peu le silence mental aidant. Elle continuait de regarder les passants s’affairer à leur propre vie et leurs habitudes puis elle retrouva son sourire.
— Au moins, c’est quelque chose que je n’oublierai pas, murmura-t-elle pour elle-même.
— « Quoi donc ? » répondit Dieu Valarion.
— Ton humeur exécrable.
Un rire s’éleva dans sa tête.
— « Des choses ont changé oui, mais pas toutes » reprit Dieu Valarion d’un ton plus léger.
Shikkaya aperçue du coin de l’œil un enfant au visage terreux faire les poches d’un marchand hagard et surtout occupé à compter ses pommes. Fier de son butin, le jeune garçon se rendit rapidement auprès de deux autres gamins vêtus de guenilles et tout aussi sales afin de partager celui-ci.
— Pas toute en effet, pensa-t-elle.
Elle déambula sans but dans les rues de Pôle pendant quelque temps puis s’assit sur un muret et saisi son carnet de note. Elle avait pris l’habitude d’inscrire depuis 6 mois – période où Adam lui apprit à écrire – ce qu’elle faisait et surtout ce qu’elle ne voulait pas oublier.
— « Tu ne m’as pas répondu jeune fille, glissa Dieu Valarion.
— De ?
— « En quoi le manque de remède te faisait sourire. »
Elle sourit de plus belle:
— Cela signifie que je dois rependre l’aventure où je l’avais laissée.
Elle ouvrit son mémento et le parcouru dans son entier, tel était son rituel quotidien à présent.

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07 févr. 2017, 18:20

Elle avait noté ses aventures, ses voyages et tous ses noms, qu’elle répétait, pour le détail des circonstances et pour la connaissance de ses limites, sans qu’ils eussent pour elle de signification appréciable. L’avant n’eut pas l’évocation nostalgique d’un monde rassurant, en contrepoint d’un avenir menaçant.
— « Sommes-nous, serons-nous condamnés à décevoir éternellement nos alliés et à faire sourire nos ennemis ? » considéra Dieu Valarion, à peine teinté de cynisme.
Shikkaya soupira allègrement de regret pour jouer le jeu de son exécrable caractère. Il n’avait pas tort : d’une certaine manière, elle et lui formaient une belle union.
Il sourit, d’une certaine manière.
Mais à dire vrai, dans un premier temps, Shikkaya s’interrogeait surtout sur l’ignorance de sa prochaine destination. Quitter l’enfer, ou le traîner avec soi, se tenir seule face à, et pour s’occuper de son propre sort, ou subir également celui de ses anciens alliés. Eux qui, pendant ce temps, devraient être surpris de la retrouver vivante.
Si eux-mêmes l’étaient encore.
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08 févr. 2017, 00:08

Elle n’avait pas cherché à revoir quiconque pendant sa retraite. Et elle ne le regrettait aucunement. Elle avait quitté des…Amis ? Pour se trouver une famille qui l’acceptait elle et non son statut. De Porteuse.
Mais à présent, elle ressentait ce manque étrange presque vexant d’une personne à qui l’on ne donne aucune nouvelle. Après tout elle ne les avait jamais vraiment aimés. Surtout Giovanni. Même s’il ne manquait pas d’être atrocement hilarant lorsqu’il se faisait rabrouer par sa conne de femme. Sa femme d’ailleurs. Comment elle s’appelait celle-là ? Peu importe, ça arrive à n’importe qui d’oublier des prénoms de toute façon. Ah et puis Opiter, un drôle de phénomène qui ne manquait jamais d’égayer les journées un peu mornes. Il a bien dû finir par accompagner ce porteur – elle chercha rapidement en feuilletant son calepin – BlackJack ! Elle ne se souvenait que vaguement de son visage mais parfaitement de son Arme Dieu.
La jeune femme resta plusieurs minutes à ressasser les derniers jours du tournoi des Mille Lunes. Ces souvenirs-ci étaient simples à faire revenir, mais au-delà les difficultés commençaient.
— « Bon, tu comptes rester assise ici toute la journée ? », interrompit Dieu Valarion.
Shikkaya ne dit rien et referma sèchement son calepin.
— Nous aurons besoin de leur aide, pensa-t-elle.
— « Besoin ? Ricana le Dieu. Depuis quand a-t-on besoin…
Il s’arrêta. Shikkaya ne dis rien de plus mais elle sut que Valarion prévoyait la réponse de sa Porteuse. Et elle n’allait pas lui plaire…
— « Eh bien, reprit-il. Si tel est ton désir, soit. Retrouve-les donc. Un hysnaton vagabond et un marchand Dérigion… A Pôle ! »
Shikkaya ne doutait pas un instant que chercher Opiter ici reviendrait à rester une année de plus. Malgré son physique particulier, il savait ne pas se faire remarquer lorsqu’il le souhaitait. Même si cela ne lui plaisait pas plus que ça, elle décida de chercher Julio Giovanni. Elle avait encore son adresse dans son carnet, cela ferait un bon point de départ.
— Tu devrais te réjouir, dit-elle. Nous reverrons peut-être Dieu Kaÿr.
Intérieurement, elle l’espérait. Car Giovanni seul…

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09 févr. 2017, 17:05

Shikkaya oublia – d’elle-même – cette pensée ; l’image de ce gros porc de Julio Giovanni suintant, avec son sang au nez crochu qui aimait tant l’argent. Il la répugnait. Tout en lui la débectait. Viral. Intrinsèque.
Comme cette ville.
Pôle, était unique, il n'y avait pas d'autre endroit sur Tanaephis auquel on aimerait tellement tourner le dos quand on y séjournait, mais il n'y avait pas non plus un endroit auquel on aimerait tellement retourner dès qu'on pouvait le quitter. Les maisons damnées d’agités et bouffons, aux fenêtres étroites et barrées, aux volets de bois moisis, aux porches béants comme de grandes gueules noires, tout portait à pousser un hurlement de haine. Et sa populace grouillante, rampante, entre ces ruines tortueuses suant le crime et le vice, était une humanité décadente…
Un haut-le-coeur ressaisit Shikkaya.
Le poison gâtait ses dents, creusait les poumons, dilatait le foie, ravageait les viscères, et y causait des bruits au fond de son crâne fêlé par la douleur.
Elle inspira –– chaque filet d’air –– lentement –– sa respiration –– longue –– alléger ses pensées –– plus régulières –– et le poison qui s’était répandu dans son coeur disparut insensiblement. L’horizon devait s’ouvrir, l’idéal possible ; comme lui avait appris Adam ; entre autres choses. Lors de pareilles crises, qui ne cesseraient pas de se reproduire jusqu’à la délivrance complète, Shikkaya réussissait désormais à reprendre le dessus et repousser l’inévitable par l'entraînement. La méditation des plus nobles guerriers de la caste, sa famille, lui offrait de précieux et perpétuels sursis. En échange de crises journalières, elle se contentait désormais d’une dose d’Épices tous les mois.
Néanmoins, la faille continuait de s’enfoncer par trop souvent son dard aigu dans les gouttes de ses veines et à chaque battement de son coeur pour qu’elle épargnât ses humeurs…
Cinq sachets de Serment de l’oubli.
Cinq mois à vivre.
Si elle ne devenait pas folle avant.
— Si tu ne l’es pas, déjà…
— « Si tu ne l’es pas, déjà… »
Ils rirent, mot pour mot. À l’unisson.
Dans l’entre-temps, Shikkaya profitait du sursis qui lui était accordé pour jouir pleinement des souvenirs et promesses de la vie, des bavardages futiles, et de la joie des retrouvailles, d’une aventure.
Et pour quitter cette ville maudite, condamnée…

❍ ❍ ❍

Shikkaya sentait l’esprit de la ruine qui rodait, ici, dans les ruelles de Pôle.
Elle-même.
Des hères. Des heures durant.

❍ ❍ ❍

Le vent bruissait dans les toits de tuiles, et le second soleil, filtrant à travers les dômes des coupoles du Palais Impérial, se collait par plaques sur la berge boueuse.
Chaque fois que Shikkaya avait dû se promener ici elle passait en revue ces vilaines maisons décolorées, les unes contre les autres comme du bétail, toutes plantées au hasard. Un bordel muet. Elle imaginait ces maisons délabrées étant les vieilles prostituées de la rue. – Elles en conservaient des secrets. – Capables de manifester leurs sentiments, par moment, puis de les enfouir à nouveau en elles, dans leurs entrailles. – Sur la condition. Sur le passé. – La rue embarrassée de tas de boue et de pierres, sans pavés par intervalles.
Et ses habitants ?… combien de visages rugueux, lugubres, laids, d’où s’échappaient pourtant comme des traits de vraie bonté, de délicate fortitude. Résignés. Sincères. Millionnaires de riche nature. Et dans leur air, un mélange chaleureux émanait une lourde et délicate odeur, de convivialité cuite au four, dont le coeur se réjouissait du strict minimum, autant que l’estomac.
Ce n’était pas un charmant quartier pour les promenades dans le genre de celles que l’on voudrait se faire proposer. Un sale bourbier social, comme Pôle s’en entassait des centaines. Un ghetto, dont la seule distraction agréable subsistait dans la détermination de ses habitants à se considérer pôlards certifiés.
Mais, elle-même, Shikkaya, issue de rien… en marchant vers chez les Giovanni, elle se souvenait de ses origines et de son passé. Des crasses qui ne disparaîtraient jamais sous une couche de prestige. Elle sourit. Quelle perspective, quelle issue avait-elle au-delà du lendemain qui bordait ses rêves ? Et aujourd’hui… sa légende.
Elle fut prise d’une formidable envie de rire.
Ses questionnements la conduisirent infailliblement à une impasse.
Littéralement : car, si la brioche de Giovanni et les miches de sa femme valaient assurément le détour, sur le prix de revient au kilo (parfois, Shikkaya pouvait être une vraie garce, elle aussi, elle le savait et elle aimait ça), depuis quand leur maison – car aussi assurément c’était bien la leur, composée d’un rez-de-chaussée (et sûrement d’une table encore cassée), surmontée d’un premier étage, couverte d’un toit en tuiles percé de mansardes saillantes – depuis quand la maison des Giovanni était-elle devenue une boulangerie ? Et réputée !… à en croire la rue encombrée d’une foule qui stationnait à sa porte.
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09 févr. 2017, 23:25

La jeune femme resta quelques instants dubitative. Même si Julio Giovanni était un opportuniste, passer de marchand de tissus à boulanger lui semblait simplement improbable. Ou alors sa femme avait un pouvoir de persuasion insoupçonné.
— « Ne disait-il pas : après un bon pain, un bon vin ? Peut-être l’inverse dans son cas. » lança Dieu Valarion.
Shikkaya lâcha un rire bête. Néanmoins, elle n’avait aucune envie d’attendre plusieurs minutes – voire heures se dit-elle en apercevant quelques vielles rombières – pour savoir de quoi il en retournait. Elle prit son air mauvais – elle aimait bien ça – et remonta la file sous les murmures injurieux et clabaudages.

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10 févr. 2017, 15:33

Et les gens s’offusquèrent, bien sûr, en prenant toutes les précautions nécessaires pour s’assurer d’être les plus discrets possible ; personne n’avait envie de se frotter de si bon matin à une Porteuse, et quelle que fût l’heure de la journée. Puis les gens comme elle, les basanés vendeurs de tapis ou pire, on connaissait leurs manières ou plutôt justement leurs absences ; ils se comprenaient, ils se comprenaient ! – Ah, ça, dans un monde où les frontières commerciales étaient si floues, le racisme avait encore de longues lunes devant lui. Nul besoin d’être anormal, tel un Hysnaton, juste légèrement différent de soi, comme l’autre : une idée reçue, un nez plus crochu qu’un autre, une couleur un peu trop foncée aux deux soleils, des lèvres charnues, des cheveux blonds comme les blés, une Arme-Dieu… – Alors Shikkaya n’eut aucun mal à arriver jusqu’à la boulangère, une femme adorable et des plus souriantes dans les usages de la clientèle. Elle. Malheureusement, elle resta bien incapable d’apporter la moindre satisfaction dans ses réponses aux questions de Shikkaya ; son mari et elle n’avaient repris le bail de la maison que très récemment, quatre mois à peine, et elle n’avait jamais entendu parler de ce monsieur Giovanni. Ni de Julio Giovanni. Son mari peut-être… Mais il lui faudrait revenir en fin d’après-midi, car là il dormait ; Félicien – son époux et artisan boulanger – se levait aux aurores pour pétrir et confectionner, avec de la farine d’orge de froment et des figues sucrées, un pain dont la recette si spéciale « La Tentation Lusitane » leur venait de leur village natal, à l’ouest dans le Centre-Pôle (la boulangère ne mentait pas : leur pain était un délice, à consommer sans retenue). Mais à son réveil, elle lui toucherait deux mots à cette attention. Après Félicien pourrait lui parler, il serait plus reposé.
Et Shikkaya revint dans la soirée. Non par plaisir, mais elle voyait mal comment pouvoir retrouver autrement son ancien camarade – ce mot… Malheureusement pour guère plus de succès ; chou blanc, rebelote et der des ders. Félicien, un homme blanc et voûté comme une branche de saule marsault, n’en savait pas plus que son Eugénie. Il en était bien désolé, et Shikkaya ne douta pas de sa sincérité. Avant lui, avant eux, la maison avait été occupée un temps par une auberge de fortune, plus un tripot qu’une auberge digne de quelque nom que ce fût mais elle remplissait sa besogne et les gosiers – car il était vrai que le quartier manquait de commodité pour se détendre après une journée, ou nuit, de travail –, mais la bonne âme n’avait pas tenu avec la remontée des Piorads dans le secteur. C’était avant que l’on reprenne les travaux pour consolider les fortifications de la Fange.
Félicien et Eugénie n’eurent pas l’air de comprendre la moue pincée de Shikkaya et son air triste à l’annonce de cette nouvelle, et pour cause, mais ils interprétèrent sa réaction par une profonde déception.
Et ils n’aimaient pas décevoir :
— Mais, si c’est vraiment important pour vous mademoiselle, je peux vous donner l’adresse du propriétaire ? Celui à qui on loue la maison. C’est un homme pas des plus accommodants, et pire, les ouï-dire disent qu’il a le sang à deux tiers mêlé Vorozion, mais ça ne doit pas inquiéter une personne de votre condition. Lui saura forcément à qui il a racheté notre maison, avec un peu de chance il saura vous dire ce qu’il est advenu de votre gens que vous cherchez.
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16 févr. 2017, 07:45

« Voilà au moins le début d’une piste », se dit-elle.
Elle les remercia en leur achetant l’un de leurs derniers invendus – et il y en avait peu, un pain « Épicé ». Bien évidemment aucune Épice n’était présente dans celui-ci. Ses teintes jaunes pétantes farinées ainsi que ces petites graines et sucre cristallisés dans sa croûte rappelaient – avec un tant soit peu d’imagination – les Épices laissées dans le sable par une Mère des Tempêtes. Des questions de marketing évidentes en ont fait le produit renommé de cet endroit.
« Le Tournoi des Mille Lunes fut une source incroyable d’inspiration pour bien des personnes », pensa-t-elle.
Son pain en bouche et ses maigres ceste délestés de sa bourse, Shikkaya reprit son chemin dans la ville en direction de l’adresse de ce Dérigion à l’ascendance incertaine. A dire vrai, elle se foutait bien de l’origine de cette personne, pourvu qu’elle ne lui demande pas de service en échange de cette information. Elle avait déjà attendu la journée entière pour faire chou blanc, alors elle ne serait pas aussi patiente avec celui-là. Le temps pressait pour elle… Elle le sentait. Dans ses veines.

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09 mars 2017, 09:57

❍ ❍ ❍

De sa fenêtre, chaque jour, il avait guetté la porte de la mosquée, épilant son crâne avec une pince, lustrant son Arme. Avec l’espoir qu’elle en sorte. Et comme s’il sentait sa présence, chaque jour, il avait levé son visage vers sa cellule dans l’un des minarets, dessinant ses formes et contours, avec ses yeux enfoncés de poisson mort et la lèvre supérieure effacée qui laissait découvrir un sourire de fines dents carrées parfaitement alignées. Importun.
Une année, sept mois, six jours, quatre heures, trente-deux minutes et quarante-trois – – quatre – – cinq – – six secondes, enfin ! Il l’avait attendue. Elle était plus belle que jamais… chaque jour, elle était plus saisissable que jamais. Le reflet de l’éblouissante projection ; exception faite qu’elle était l’original, la matière première de sa fascination. Aujourd’hui il la suivit dans ses moindres et meilleurs, sa démarche, ses pas, sa respiration, son ombre, il n’ignorait rien. Alors que le comédien visait à imiter fidèlement un rôle, lui, il visait à être sa nature.

❍ ❍ ❍

— J-je… je peux vous aider ! s’enhardit-il, la surprenant.
Et il ajouta de la voix de fausset qui lui était si particulière :
— Shikkaya, je sais où se trouve Julio Giovanni et Dieu Kaÿr.
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13 mars 2017, 11:31

La jeune femme se surpris à jeter des coups d’œil rapides tout autour du garçon. Pas de brute ni d’homme de main. Après tout, elle n’avait ressenti aucune assomption divine mais elle savait que le « danger » pouvait parfois être jugé de façon très subjective par son compagnon.
Elle dévisagea du regard l’impromptu, comme à son habitude à chaque première entrevue avec un inconnu.
— Quaish’que tu m’feu gjamin ? postillonna-t-elle sans retenu en oubliant le pain qu’elle venait de mordre.
Elle écarquilla légèrement les yeux et rougie mais elle se garda bien d’afficher clairement sa gêne.
— « Indécrottable cagole… », soupira Dieu Valarion.

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23 mars 2017, 23:38

Le gamin de peu n’en était plus un, tout du moins depuis quelques heures. Cependant le constat de sa faiblesse trompa Shikkaya ; il avait beau avoir atteint l’âge adulte, être de bonne taille et les muscles bien allongés (et Shikkaya s’abstint bien de remarquer que son drôle d’accoutrement, un maillot rouge aux manches élimées pour le haut, mais surtout pour le bas un collant de chanvre porté normalement en guise de sous-vêtements, insistait sur l’appendice de son entrejambe irrationnel et assurément adulte, lui), il gardait trompeusement l’aspect de l’adolescence, blond rasé très court pour chasser les poux aux yeux bleus, il avait la complexion fraîche d’un enfant et sa tentative de se laisser pousser la moustache n’était perceptible qu’avec difficulté. Son visage – et son bas atout – en aurait fait un galant quelque chose plus ou moins notable si ce grand dadais peu sûr de lui ne souffrait pas d’un engourdissement méticuleux.
— J-je… bafouilla-t-il avec un sourire, sans même lever la tête. Je peux vous aider à retrouver votre ami. Je sais où il vit devant le quartier des Terrasses Blanches.
Ce gosse grandement retardé le devait sûrement à cause d’une vie trop dorlotée par ses quelques petits camarades d’une quelconque ferme familiale assurément congénitale. Comme il y en avait tant. Il serait mort avant un prochain matin, sur une route de grand chemin de Tanaephis, à la sortie d’une auberge guère moins exécrable que la nature qui lui avait fait pour corps cet épi de blé et pour cervelle un grain déjà moulu. Et ce n’était pas son Arme – car sa vie lui avait aussi joué ce tour, être Porteur – qui y changerait quoi que ce soit ; une Batte de meunier guère mieux fagotée que lui, dénuée de tout signe distinctif, et encore moins de gage de puissance. Tous deux deux détails mineurs.
Sous son nez ce jeune benêt procurait à Shikkaya un sentiment de pitié.
Pourtant ce trop naïf et consciencieux gringalet gardait chez lui quelque chose de – comment dire ? – de menaçant. Le regard que l’on retrouvait lorsque l’on assistait à une exécution. La même sorte de regard d’un bleu glacial, la même intensité à propos de ce qu’il faisait… pas le regard du condamné, mais du bourreau. Il avait les mêmes yeux.
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Shikkaya
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04 avr. 2017, 15:04

Shikkaya le jaugea rapidement. Même si son regard la mettait plutôt mal à l’aise, il n’avait pas l’air plus dangereux que ça. Elle s’arrêta quelques instants sur son Arme-Dieu… Étonnement, elle lui correspondait bien se dit-elle… Quelconque.
Elle plissa les yeux et lui lança :
— Et pourquoi voudrais-tu m’aider ? Je ne te connais pas et je ne me souviens pas t’avoir déjà dit mon nom.
Ce point la troublait quelque peu. Après réflexion, elle était restée si longtemps dans l’ombre qu’elle ne s’attendait pas trouver quelqu’un la reconnaissant si promptement.

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uaervaftnecniv
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08 avr. 2017, 00:00

— Je vous ai connue toute ma vie, et sais tout de la vôtre, livra-t-il en fan inconditionnel, avant de poursuivre avec tout l’excès de sa joie, et les plus flatteurs élans d’enthousiasme de son oeil brillant. Vous êtes la personne la plus phénoménale que je n’ai jamais connue Shikkaya, et assurément la meilleure Porteuse pour Dieu Valarion … heu, je veux dire Dieu L’Enchaîné.
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01 juin 2017, 12:27

Elle haussa un sourcil et répondit :
— Je ne vois pas comment tu peux me connaitre aussi bien que tu le dis et que je n’ai pas entendu parler de toi. Que je sache, je ne suis pas dans les livres d’histoire.
— « Parle pour toi… » répondit mentalement l’Enchaîné.
— Mais trêve de causerie, reprit-elle. Je vais être direct, là où tu m’intéresses, c’est dans ta capacité à trouver celui que je cherche, Julio Giovanni. Je suppose le service payant ?
La jeune femme mit une main à sa bourse tout en gardant un œil attentif aux réactions du garçon – elle s’attendait toujours à un revirement de dernière seconde.
Elle avait bien pris le pli avec cette ville…

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01 juin 2017, 23:18

— Oh non, non non non, je ne souhaite rien en échange. Surtout pas, et il sembla si sincère, une sincérité si palpable que la simple idée qu’il eut pu ne pas l’être semblait l’avoir meurtri.
Il se méprisa lui-même d’avoir pu susciter une telle idée chez son idole – et il se punirait pour cela ; il devait être puni.
Un tel spectacle émut Shikkaya jusqu’aux relents stomacaux, et le frisson d’une dédaigneuse pitié parcourut tous ses membres.
— Pour moi c’est un très grand honneur que d’avoir le privilège de vous approcher. J’ai attendu si longtemps cette occasion… Laissez-moi être votre guide je vous prie, laissez-moi vous conduire jusqu’à la demeure du Seigneur Giovanni, aux portes des Terrasses Blanches.
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Shikkaya
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02 juin 2017, 08:32

— Heu… Et bien soit ... dit-elle un peu hésitante.
Elle n’arrivait pas à cerner le jeune homme. Bien qu’elle éprouvât un peu d’empathie à ces réactions, il ne la mettait pas à l’aise ; quelque chose la dérangeait au fond d’elle.
— « Tu ne peux plus éprouver de sympathie ma petite ? C’est un sentiment que je sens bien enfoui derrière d’autres plus…Violents et inconstants, lança mentalement Dieu l’Enchaîné. Ce pauvre bougre est pourtant si heureux de rendre service ; quoi de plus normal que de l’utiliser à notre avantage ? Tout le monde y trouvera son compte. »
— Je me méfie de lui, rien de plus, rétorqua-t-elle à son Arme-Dieu. Tu ne trouves pas cela étrange qu’un inconnu nous tombe dessus à peine sortie dans la rue ?
— « Que veux-tu, ma réputation me précède maintenant, répliqua l’Enchaîné d'un ton condescendant. »
Shikkaya leva les yeux au ciel et soupira.
— ...si tel est ton souhait, alors je te suis, reprit-elle en lançant au jeune homme un demi-sourire.

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02 juin 2017, 20:10

— Oh oui, oui oui oui, je n’ai pas de souhait plus grand que celui de vous être utile. Je rêve un jour de devenir comme vous…
Voilà qu’il flirtait sans mal avec l’obsession. Devant elle, il caressait sa Batte, tentait, en redressant son enthousiasme, de paraître plus homme au regard de son héroïne.
— Il nous faut contourner le coeur de la ville et quelques secteurs : La Pieuvre agonisante du Secteur VII Quartier 1 – car on sait jamais quel jour on risque d’être embêtés par des agents de l’administration et quel jour leurs pattes ont déjà bien été graissées ; le Secteur VIII Quartier 12 à cause de l’odeur du bétail ; et bien sûr Le Grand Bazar, Secteur V Quartier 3, où on a beau trouver de tout on sait jamais quand on se fait pas voler pour revendre nos propres affaires – surtout qu’il y traîne souvent des espions de La Petite Durville (Secteur III Quartier 7) et je sais trop bien à quel point vous êtes pas forcément la bienvenue, même s’ils vous ont un peu oubliée depuis le Tournoi des Mille Lunes, pas plus que le Seigneur Giovanni avec tout le boxon qu’il a mis en brûlant les entrepôts. Par contre en passant par le Secteur XXII Quartier 33, ou le Port, même si c’est un ramassis de canailles – puis à quoi il sert le Port, personne a jamais vu la mer à Pôle ? – là au moins on sera certains de pouvoir remonter en pagode sans trop attirer l’attention jusqu’aux Rues de papier, le Secteur XXMII Quartier 26.
» Ça va nous forcer de gagner la lointaine périphérie pour trouver un passage par le lac fleuri, il changera de place du même coup, mais pour vous c’est la moindre des choses que peuvent faire les maîtres nageurs. C’est pas tous les jours que la grande Shikkaya leur fera l’honneur de poindre le bout de ses Demi-Faux dans leur triangle des Bermudes…
Assurément l’ascendant de cet éternel gamin n’était pas dans la garde du Poisson : les poissons ne sont pas bavards, c’est bien connu, mais muets comme des carpes !… Mais Shikkaya conclut que, malgré ses méfiances injustifiées (si elle voulait bien mettre de côté le fait qu’il en savait vraiment long sur elle, et Julio aussi), le gosse grandement retardé était quand même un curieux personnage, bavard, et certainement pas mauvais pour un sou. Tout au plus avait-il dû recevoir un peu trop souvent quelques coups sur la caboche ; peut-être même avec sa propre Batte.
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04 juin 2017, 02:01

Mais pour l’heure, elle ferait bien abstraction de ces quelques défauts. Elle lui fit signe d’avancer et lui emboîta le pas. Après quelques mètres, elle lui demanda :
— Tu as dit que le seigneur Giovanni avait… brûlé des entrepôts ? Tu es bien sûr de ce que tu avances ? Cela ne lui ressemble pas tellement.

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13 juin 2017, 00:12

— Oh oui, Shikkaya, et Shikkaya craignit qu’il recommençât à démultiplier son tic de langage.
Mais il n’en fit rien. Au contraire, il poursuivit très sobrement, déambulant lentement, très lentement, tout en admirant ses belles mèches de cheveux, aussi belles pour lui que huileuses pour elle.
— Aussi sûr de moi qu’il paraît que l’entrepôt appartenait à un sombre seigneur des terres de la Nation, et il mima très maladroitement quelque chose avec sa main gauche ; qui pouvait tout aussi bien ressembler à une araignée, un rat, une colombe, ou…
… un scorpion noir !
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14 juin 2017, 08:19

Shikkaya esquissa un léger sourire. Elle se dit que Julio allait être moins difficile à convaincre de l’accompagner dans son périple finalement. S’il avait attiré l’attention du scorpion noir sur lui, nul doute qu’il allait bientôt avoir des ennuis, peut-être même était-il déjà en train de planifier sa sortie de la ville.
Son sourire s’effaça très vite. L’information avait dû se répandre tel un feu de prairie dans cette ville. Il était sans doute déjà trop tard pour lui.
— Hum, nous devrions presser le pas dans ce cas. Je préfère que nous arrivions au plus vite à sa demeure… lui dit-elle en suspens.
— … et sinon, que sais-tu de mes exploits ? dit maladroitement Shikkaya d’une voix éraillée trahissant la prise de contrôle du Dieu l’Enchaîné.
Elle insulta copieusement mentalement son alter-ego.

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15 juin 2017, 00:10

— Tout, Dieu l’Enchaîné, répondit-il sûr de lui-même, sans être abusé, semblait-il, par son interlocuteur. Je sais absolument tout. Vous êtes une légende !
Quel plus beau compliment pour un Dieu, pouvait-il lui faire.
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21 juin 2017, 10:38

— Oh vraiment tout ? Je suis curieux de savoir comment pourrais-tu si bien me connaitre même si je dois l’avouer, cela me touche de voir autant d’admiration.
Shikkaya – contrôlée par son Dieu – fit une pause puis reprit :
— Si tu sais tout de moi, je suppose que tu sais aussi de quel mal nous souffrons ? Et surtout qui en est le responsable ?

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