(Le gibier)
Le Monticule – Circa 1029 dN, Mois de la Tristesse
Après trois semaines d’engelures, de crevasses, et au prix de vives souffrances, l’errance – jusque-là, une promenade de santé – touchait à son but pour les Héros de l’Hégémonie et le vieux briscard jeunement Porteur. Les polacs se plaignaient, le fouet claquait, et l’un des deux cochers encore à peu près vivants jurait. Le vent glacial de l’aquilon, bien connu des tribus thunks qui ont abandonné l’errance et rejoint les voies de l’égarement (les autres tribus, les sages et prudentes, évitant ces lieux et ne s’autorisant jamais à frôler la puanteur du Néant), n’avait de cesse de souffler au coeur des territoires sur lesquels le conflit contre les Piorads s’enlisait depuis des siècles, pénétrant les esprits et pelant les corps jusqu’à la moelle des os. Le Monticule ! La dernière frontière avec les Royaumes des rois du Nord, la forteresse naturelle que s’étaient choisie les Thunks pour affronter les Piorads, pied à pied, se dressait fièrement devant eux.
Asbjörn, l’exilé, l’ancien soldat de l’Ost de la garde royale de Rockford, parmi les réminiscences confuses de son Dieu, se remémora les nombreux rapports des skalds sur les vaines tentatives du roi de Byrd pour y étendre son royaume : malgré leur discipline et leur expérience, jamais les guerriers piorads n’avaient réussi à y prendre position, tant le terrain favorisait les embuscades et les coups fourrés ; hautes collines et petites montagnes, le secteur regorgeait de cachettes, de grottes étroites et de pistes dissimulées. Sans négliger les abats de neige, les blizzards.
Imperceptiblement, au chant assourdi des branches des sapins s’entrechoquant se hurlaient en crescendo quelques grognements menaçants… L’alpha les avait conduits jusqu’ici. Elle appelait à la vengeance divine.
L’hiver dernier, le Néant avait pris son compagnon ; elle rageait de n’avoir rien pu faire pour lui, ses petits dans sa gueule, elle avait laissé les instincts maternels sauver sa portée. Et, aujourd’hui, le hors-venu et ses alliés humains avaient pris trois de ses louveteaux.
La traque serait patiente et méthodique.