Chapitre 1. – Ceux qui grattent la terre

[uaervaftnecniv]

CHAPITRE 1.

(Ceux qui grattent la terre)
Castel-les-Marches – Circa 1028 dN, Mois du Repos

Il y avait des augures dans l’air. Le tonnerre était passé, ils n’avaient plus peur à présent. Des volées de vautours depuis les arbres qui encerclaient la gorge s’étaient élevées dans le ciel, comme pour célébrer la fin de toute chose, proclamant leur excitation en tournoyant au-dessus du champ de bataille. La faim aussi.
Castel-les-Marches avait résisté.
Deux cent quatre-vingt-cinq protecteurs s’éparpillèrent sur le sol, les murailles, effilochés en morceaux suintants, et quelques-uns survivants. – Il n’y aurait aucune joie dans cette victoire ; pas plus qu’il n’y avait eu de chance.
Une vague de terreur s’abattit sur la ville, consolée par des illusions de félicité. L'arrière-goût du Néant lui-même béa au pied des murailles, par le ciseau gémellaire de la Parque, avec une âme damnée debout portant sa gueule, les invitant à goûter son châtiment.
Les justes et les pécheurs…
Ils se confondirent et fondirent facilement, brûlant dans les flammes blanches, exhalant une odeur d'huile raffinée, sans laisser d'essence dans leurs résidus charbonneux à vif. Hurlements de douleur, hurlements d’angoisse, hurlements de rage, hurlements de peur, hurlements d’envie, hurlements de chairs, hurlements de cris, hurlements…
Les voix se chassèrent d’un éclat épais de nausée refoulée, jusqu’à plus soif.
Jusqu’à plus soif, la terre avait bu, du sang en insupportable abondance, du sang, du sang, du sang sans faim…
Le vent avait tourné ; mi-doux, mi-amer.
Seules étaient restées les suppliques éternelles et indicibles de ceux qu’il avait fallu achever. Un acte de miséricorde… entaché de leurs gémissements.
Aucun Héros ne craqua. Aucun Héros.
Des piles de morts tutoyaient les cieux, dénués de dieux. Puis le bûcher. Juste des centaines de corps, hommes, femmes, protecteurs, Sekekers, et fillettes à brûler. Puis l’odeur de fumée.
Les mémoires s’efforceraient de ne jamais oublier leur sacrifice. Pendant un temps. Avant le prochain coup de pelle.
Maintenant, les larmes méprisées et les lamentations inanes, la cité de Castel-les-Marches se remettait de ses convulsions et blessures. L’horreur gisait sous ses pieds, une tapisserie sanglante en partie enterrée.
Ceci était arrivé. C’était un rêve de guerre et un fragment de la guerre elle-même.

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(Ceux qui grattent la terre)

[Luridius]

Après des jours à assumer les conséquences de cette bataille était venu le temps de récupérer l'Arme opposante.
Durant la bataille, la Porteuse était tombée entre les tours. Et alors que le feu se transformait en braises, il fallait maintenant creuser...

Luridius et Asbjörn se dirigèrent vers les restes des flammes équipés de pelles, déterminés à récupérer ce qui était possible.
Au bout d'un moment, Kaÿr demanda à Valarion :

— « Que comptez-vous faire, maintenant que cette armée a été repoussée? Il en reste encore une seconde qui est en marche, n'est-ce pas? Et après cela il y aura un sujet a reprendre... »

[Asbjörn]

Asbjörn donna le premier coup de pelle à travers les gravats. Il savait que la tâche n'allait pas être si aisée et que la chaleur allait vite les épuiser. Il se concentra à la tâche, entendant à peine en arrière fond que les Dieux entamait une conversation.
— « Ce que je compte faire ? » répondit Dieu Valarion. « Ecouter les élucubrations de ce hâbleur une fois que nous l'aurons déterré... L'incohérence de ses propos m'exaspère incroyablement. Et par tout mes confrères, consœurs et alliés passés, j'exècre sa suffisance ! Sinon, une fois que je l'aurai entendu et que je statuerai sur son sort, il y a en effet la question de cette seconde armée. Je laisserai Asbjörn prendre une décision la concernant ; après tout, même si la vie de mes porteurs m'importe, leur mort n'est que la résultante de leur décision. »
Le Hors-venu lança un crachat qui crépita lors de son contacte avec les quelques braises encore rougeoyantes des décombres.
« C'est bien quand ça t'arrange », pensa-t-il.
— « Mais au delà de ce simple combat à venir », continua Valarion avec insistance. « Il va falloir comprendre ce que veulent nos Frères et Sœurs . Même si l'impression d'être le caillou dans leur chaussure m'amuse, leurs machinations et leurs objectifs se perdent dans une nébuleuse d’événements que je ne saisi pas. Pour te résumer, Dieu Kaÿr, à l'époque où j'ai rencontré notre ami enfouis présent, il cherchait le jumeau d'une abomination du Nord. Celle-ci devait être dans la région et sans aucun doute dans cette ville. Mais après cette bataille, je ne comprend plus ces intentions...Et cela aussi m'énerve. Je pense qu'il est temps que tu m'en dises plus sur ce Legion. »

[Luridius]

— « Tout cela remonte à fort, fort longtemps, et être sous terre ne nous a pas aidé à nous souvenir de ce traître. Nous aurons du mal à te renseigner autant que tu semble l'espérer. Par contre, nous avons surement quelques points qui pourront t’intéresser. En particulier, es-tu familier avec le pouvoir des oracles et autres formes de prémonition ? Luridius semble avoir une certaine affinité avec ceux-ci, vu qu'il a déjà rendu un rêve tourné autour de Légion.»
— Ou alors c'était le poison... murmura Luridius.
— « Cette prémonition commençait avec des symboles représentants la chute d'un chef, de par son trône détruit par du sable », reprit Kaÿr, l'ignorant. « Des échos de rire et une odeur d'épice flottaient dans l'air, semblant venir d'un sable noir comme une nuit sans lune, celui-là même qui détruisit le trône. Tout était malsain, et des fragments de souvenirs odieux flottaient dans l'air pour accompagner la scène. Au centre étaient nos Porteurs, dans de piètres états. Asbjörn agonisait, transpercé de toutes parts, tandis que Luridius essayant en vain de retenir ses propres entrailles... Dans les reflets de sang luisait une armure. »
A partir de cet instant, Kaÿr semblait revivre en partie la vision, plus tout a fait conscient des pelletés de Luridius, ou de la présence de Valarion.
— « Ensuite, des milliers de Pjorads ravagent les plaines et une citadelle, fendue en deux parts. Derrière ceux-ci, sur un drapeau, cette armure qui rit, sur fond de hennissements et de bruits de sabots. L'armure tient dans ses mains Légion. Et à ses genoux se trouve une abominations aux milles bras, trop ignoble et purulente pour être plus décrite. Enfin, le sable remplit la vision entière, l'odeur d'épice resurgit, accompagnée de jasmin... Les trois lunes défilent sur se fond, et quand le sable finit d’emplir l'entièreté de l'image, une rose noir surgit. Elle semble faite de métal, aux épines si tranchantes... Et cette odeur de Jasmin... Et ce silence... »

[Asbjörn]

Si les bruits de pelle faisaient écho avec les crépitements des bûchers funéraires, un silence profond emplissait l’esprit d’Asbjörn. Un long frisson parcouru son corps tout au long du soliloque du Dieu Kaÿr. Des sentiments. Pas les siens. Des souvenirs. Ceux d’un autre. Des pleurs, des rires, des insultes, des menaces, des enfants, des fantômes, des épices. Des amis ? Les siens. Non, pas lui ; un autre encore. De la tristesse. Des pertes…L’amertume. Le froid. La mort.
Il ne s’aperçu pas que ses mains ne seraient que le vide. A quoi bon déterrer ce corps enseveli, se dit-il ? Qu’il repose avec les autres misérables pour qu’enfin leur supplice ne soit plus qu’un long et doux sommeil sépulcral. Il… voulait rentrer chez lui, loin du froid et des arbres enneigés.
La voix lourde et sombre de Dieu Valarion déchira son être.
— « Tu peux entrapercevoir de nombreuses choses, Dieu l’Omniscient. Des choses qui me sont familières. De vies passées. Des éléments d’une fresque que je m’efforce de reconstituer depuis longtemps. Je… Nous reparlerons de ce trône et de cette ville plus tard. Mais cette abomination dont tu me fais le récit et sans aucun doute le frère jumeau de celle que nous avons rencontré dans le Nord. Une créature ignoble qui fut jadis peut être un humain normal, porteur de Freïka La Maudite, elle aussi connaissait Légion. Notre Frère enfouie recherchait cet être, d’où sa venue jusqu’ici. Pour quel dessein je l’ignore encore… Une rose noire… Une rose métallique tuant tous ceux qui toucheraient les épines. Je l’ai vu à Inaac dans les mains d’un comte truand… Mais aussi dans le Nord, dans celle d’un Batranoban maître épicier. Tout était lié aux épices… Du Traffic d’un côté, l’ouverture d’un nouveau comptoir de l’autre… Les Vorozions… Puis les Piorads… »
Valarion s’arrêta brusquement. Asbjörn semblait quant à lui concentré et absent. Après quelques instants, il se déraidit et reprit son excavateur.
— Nous parlerons calmement autour d’une Siffane, Luridius. Pour l’heure, concentrons-nous sur cette tâche pour finir avant la nuit.
Un silence mental s’installa entre les Porteurs.

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FIN DE L'ENTRE-TEMPS

– Jusqu’à demain…

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