Chapitre 15. – Yellow !

« Ce fut une fierté d’avoir fait partie d’eux, de cette famille pendant toutes ces années, d’avoir pu partager tant et toutes ces choses avec eux, et d’avoir vécu, grandi, d'avoir éprouvé la renaissance à leurs côtés. Je vous promets d’emmener avec moi le meilleur de chacun, ils me serviront de modèle partout et à chaque fois. Je tombe genoux à terre et embrasse le bitume sale de mes lèvres closes, jurant en silence une loyauté éternelle à votre pérennité. Un dévot de La Providence ; ce n’est pas ce que je voulais, mais je suivrai maintenant cette fatalité avec dignité. Jusqu’à la fin. Quand il ne restera que poussière. Peut-être parce que je considère chaque épreuve comme une leçon, ou alors parce que je n’ai plus aucune colère au coeur de ma volonté. A moins que j’ai fini par ne plus comprendre. Je sais. La réciprocité entre leurs actions et le libre arbitre n’avait plus lieu d’être. Il y a des choses, des faits, que je ne souhaitais pas voir se produire, pas voir exister, surtout pas voir tout court, mais je dois désormais en tenir compte, les accepter. Divine Ville, vous, j’ai fini par vous remercier de votre témoignage, sans le moindre commentaire. Mais pour les Autres, qui serais-je ? »

Je me souviens de chacun de ses mots, aussi confus m'aient-ils paru à cet instant. Nous, simples citoyens de Providence, capitale du plus petit État des États-Unis, le Petit Rhody, n'avons jamais vraiment su quel pronom personnel utiliser, pas plus que sa catégorie grammaticale ; était-IL vraiment le seul tueur ? Même ce qualificatif n’explique pas tout.
D'ailleurs, les autorités tournèrent en dérision la conclusion de cette histoire : « crimes ayant pour responsables une ou plusieurs personnes inconnues ». Quant aux journaux, ils titrèrent avec cynisme : « IL n’était pas notre Providence ». Tous les autres y allèrent de leurs versions, jusqu’au silence. Tous avaient tort, surabondant de confiance dans leur étroitesse de l’ensemble… alors que toute cette histoire n’était qu’un chassé-croisé pour et autour de nos destinées, nos fautes, notre Histoire, l'Espoir… Et il ne reste que poussière.
Sinon, pourquoi auraient-ils tous décidé de taire sa profession de foi, celle retrouvée sur sa dernière victime : Moi !

[Mary Olivier a dit : « Quelqu'un que j'ai aimé m’offrit un jour une boîte emplie d'obscurité. Il me fallut des années pour comprendre que ça aussi, c'était un cadeau. »]
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CHAPITRE 15.

(Yellow !)
Providence – 53 jours avant la Fracture, 13h09

Dernier carton, enfin ! Après celui-ci il n'en resterait plus aucun. Terminées les journées et soirées à se casser le dos pour aménager les sept pièces (et l'unique salle de bain) de leur nouveau chez eux. Dans deux paires de patins à roulettes, quatre croûtes à l'huile essayant vainement de se prendre pour des tableaux, un vase ébréché de la période Empereur IKEA et un service complet de vaisselle dépareillée, Oscar pourrait enfin souffler pour s’offrir cette citronnade. Il en rêvait depuis que le monde était monde. D'ailleurs, ce verre pot de moutarde serait son verre de l'effort, son trophée, sa récompense pour la sueur et la crasse. Et plus !
C’était fou le nombre de bibelots sans souvenir qu’ils avaient pu accumuler au fil des années…
Nouvelle ville, nouveau départ.
Trois mois de cartons et papier bulle sans solde leur avaient été nécessaires pour insuffler un peu de vie dans cette vieillerie du siècle dernier, ou avant-dernier d'ailleurs. L’agent immobilier avec son étonnant foulard jaune moutarde – décidément – les ayant perdus depuis longtemps dans l'historique de la bâtisse à l'annonce du prix « opportun pour cette propriété familiale de caractère et typiquement Providentielle » ; le jeu de mot accompagné du sourire satisfait les avaient achevés. Malgré les premiers signes d’une future sciatique pathologique post-déménagement, Oscar ne regrettait pas son choix.
Nouvelle ville, nouveau départ.
Mélissa et lui en avaient bien besoin. Elle le méritait… Même encore aujourd’hui il n’arrivait toujours pas à nommer ce qu’il avait espéré du plus profond de son âme n'être qu'un appel à l'aide… Si seulement Mélissa (072) sortait de son mutisme et voulait bien le faire pour lui, mettre un mot sur son geste ; le rassurer, lui sourire de nouveau, le laisser lui redonner l'espoir que tout ceci n'était qu’un geste malheureux…
Voilà qu’il recommençait !
Ce n’était pas à elle de le rassurer, de s’occuper de lui, mais à lui de le faire. Après tout, telle avait bien été sa motivation, pour elle, lorsqu’il avait tiré un trait sur son – leur ! – ancienne vie et imposé sa mutation sans délai sur Boston. – Curieusement acceptée par ses chefs ; l’étranger y avait-il été pour quelque chose ? L’appeler « l’étranger » faisait-il d’Oscar un raciste ? Comme elle le lui avait tant reproché par le passé… Comment le nommer de toute façon, ce « mystérieux étranger ayant permis d’empêcher Mélissa de commettre l’irréparable » ?! – C’était bien pour elle, pour Mélissa, qu’il avait acheté sur un coup de folie ou foudre cette maison, à un tarif aussi excentré du centre-ville que pouvaient l’être ses économies après dix ans passés au service de l’IRS. Il aurait été inconcevable de passer à côté d’un « véritable havre de paix qui guérira tous les maux, et saviez-vous que la propriété dispose de son propre jardin ? ».
Il ne regrettait rien. Elle le méritait. Leur couple, leur avenir…
— Merde !
Finalement, Oscar devrait se contenter d'un verre neuf.
Casser un pot de moutarde Droopy en sept, ça ne portait pas malheur au moins ?

Histoire_Les Chroniques de Providence – Tales of The Divine City-Je suis Providence_Chap.15_001.jpg
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Constatant les dégâts avec une grimace, trop fatigué et courbaturé pour se permettre d'être ne serait ce qu'agacé, Oscar prit la décision pertinente d'aller chercher balai et pelle pour faire disparaître les preuves de son forfait, s'octroyant au passage une petite pause bien méritée.
Il s'arrêta à son bureau, à côté de la suite parentale - un jour peut être, surement, il le fallait - afin de vérifier que son "cloud" s'était correctement synchronisé et qu'il avait bien récupéré la saison 2 d'Utopia. Une curieuse réflexion lui vint alors qu'il se penchait vers l'écran : était ce bien raisonnable de regarder çà en ce moment, après les évènements de Portland ? Il écarta rapidement cette pensée sans fondement, pour s'atteler à des tâches plus urgentes....
Dévalant les escaliers à toute vitesse et effectuant un virage serré en attrapant la rampe, le jeune homme arriva dans la cuisine mais, ayant perdu le fil des raisons qui l'avaient amené jusqu'ici, il saisit un verre en train de sécher à côté de l'évier pour se servir à boire et suspendit son geste en regardant dehors....
Mélissa était dans le jardin. En train d'observer les roses près du mur de séparation avec la propriété voisine.
Il n'osait y croire. Elle, qui avait fait de leur jardin son univers, le remodelant selon ses goûts et ses humeurs, l'évitait soigneusement depuis des mois, laissant dépérir ses créations, faute de soins... Oscar s'en était rendu compte trop tard, enfin, presque trop tard... Et là, elle se penchait pour sentir le parfum de ces nouvelles fleurs .... jaunes.
Pris d'une impulsion subite, il sortit à son tour en passant par le garage dans lequel il chercha et trouva très rapidement - merci mon dieu- son sécateur et son chapeau de paille décoré d'un bandeau fleuri rouge.
Oscar s'approcha doucement, profitant du soleil et terrifié à l'idée de rompre la magie de cet instant et lui tendit son couvre-chef et l'outil en le tenant par la lame. Elle se tourna un instant, saisit son chapeau pour le mettre puis revint aux roses, arrachant une mauvaise herbe dans le parterre et retrouvant l'espace d'un moment sa petite voix :
— C'est une pince coupante, çà, Ozzy, pas un sécateur
Les larmes lui montèrent aux yeux : il n'avait rien entendu de plus beau depuis des mois...
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Mélissa le regarda un long moment. Oscar voulut que cet instant ne s’arrêtât jamais. Il voulut…
Mélissa ne le laissa pas avoir d'autres envies. Elle le prit par la main, déposa de sa fragilité un doigt sur ses lèvres afin qu’il ne gâchât rien. Elle lui sourit. Il était si beau ce sourire, le premier depuis si et trop longtemps, lui aussi Oscar voulut qu'il ne s'arrêtât jamais. Ils rentrèrent ; Mélissa les fit rentrer. Une douce brise aurait pu leur rappeler qu’au mois d’avril à Providence, il valait mieux ne vraiment pas se découvrir d'un fil. Mais justement, des fils, ils en avaient trop. Mélissa déboutonna son chemisier tout en marchant. Au moindre signe de ses lèvres son doigt vint l’empêcher de commettre ce sacrilège.
Pas un mot.
Ils n’atteignirent jamais la suite parentale – un jour peut-être… – Mélissa s'étendit, nue ou si peu à dévêtir, bien avant et toujours souriante.
Oscar et Mélissa firent l'amour avec joie, avec force, avec un plaisir partagé ; il y avait une précision aiguë dans leur tendresse.
Au milieu de leurs retrouvailles amoureuses, alors qu’ils se nourissaient mutuellement, la sonnette de la porte se fit entendre ; Oscar et Mélissa n'avaient plus le temps de se soucier des autres…
Quelques heures plus tard, les larmes et le sel des corps évaporés, les larges sourires n'avaient toujours pas laissé la place à plus de convenance : Ils s’aimaient. Ils s’aimaient !
— Ozzy, murmura Mélissa toujours lovée dans ses bras. Nouvelle ville, nouveau départ ?
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Alors qu’elle l’attirait à l’intérieur, il tenta de lui expliquer à plusieurs reprises qu’elle ne devait se sentir obligée de rien, que son sourire lui suffisait amplement, qu'il était tellement désolé de ce qui s’était passé et qu'il avait été stupide mais, vaincu, elle lui imposait à chaque fois le silence de sa douce autorité, son doigt sur sa bouche.
Son rythme cardiaque s’affola franchement lorsque qu’elle commenca son effeuillage à peine entrée et se tourna vers lui, enlevant son TShirt « HAN SHOT FIRST », sale des conséquences du déménagement, par la tête. Le reste ne fut qu’un tourbillon de sensations et de désirs trop longtemps refoulés, redécouvrant avec la maladresse d’un lycéen l’harmonie de ses courbes, se perdant dans l’ivresse de son parfum, oubliant ses courbatures par le frottement de sa peau nue, effaçant de leurs souffles cette mélancolie étouffante.
Puis, enfin rassasié de leurs corps respectifs, ils goûtèrent la quiétude post affrontement charnel de l'intimité retrouvée, allongés à même le sol du salon.
Oui, nouvelle vie et nouveau départ mais eux, ensemble, toujours, pensa t il en son for intérieur.
Et comme si une digue cédait, il se décida enfin à lui parler :
— Je suis tellement navré de tout ce temps perdu. J’ai failli tout gâcher. Je ne te promets pas que tout va changer et que rien ne sera plus comme avant mais je vais faire attention, être attentif et éviter de refaire les mêmes conneries. Je t’aime et je n’envisage pas de vieillir sans toi. Bref, en conclusion, il va falloir que je me remue.
Essoufflé de cette longue tirade qui lui ressemblait finalement si peu, il se pencha vers elle pour l’embrasser, avant de déclarer :
— Nous devrions peut être nous rhabiller, je crois que nous avons eu de la visite.
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Mélissa se tourna pour se rhabiller, sa pudeur n’avait pas changé après toutes ces années.
Etait-ce aussi simple finalement ? Il suffisait de changer de ville. Il avait suffit d’un cutter…
Oscar chassa ses pensées qui l’obsédaient, qui le rendaient responsable.
— Qui crois-tu que c’était ? demanda Mélissa en terminant de remettre en ordre les coussins du canapé, qui dans leur fol amour se retrouvaient au milieu de l’escalier.
— Miaow ! Miaow ! répondit l’impromptu visiteur, un chat.
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Tout en s'habillant, il observait Mélissa faire de même, toute en pudeur. Pour être honnête, c'est un spectacle qu'il avait toujours beaucoup apprécié, autant que son opposé, pour sa grâce et sa féminité. Sous le charme, il ne put toutefois empêcher son esprit de dériver, espérant que ce moment n'est pas que l’œil du cyclone...
A la recherche de sa seconde basket dans la cuisine, il répondit à sa femme, en plein rangement - encore un indice rassurant toujours bon à prendre - assez fort pour qu'elle puisse l'entendre :
— J'espère que c'est la voisine d'en face avec un panier rempli de muffins maison mais comme nous sommes dans la vraie vie, je dirais un déménageur qui a retrouvé un carton ou l'employé du gaz... du moment que ce n'est pas ta mère, conclut il pour lui même
puis il distingua enfin les miaulements
Les chats sonnent à la porte à Providence ??!, s'interrogea t il, surpris.
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— Mr. Ozzy Wallace je vous connais, fit Mélissa de ses gros yeux et d’un demi-sourire. Vous, vous avez pensé à ma mère.
Les miaulements devinrent plus insistants, accompagnés de heurts contre la porte. Le félin voulait rentrer.
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Légèrement décontenancé d'avoir été percé aussi facilement à jour, Oscar répondit d'un air faussement penaud, passant sa main gauche derrière sa tête pour la frotter, tout en se rapprochant subrepticement :
— Mais pas du tout ma fée. Je m'interrogeais juste sur les mystères de la génétique
Et il déposa un baiser sur son front avant d'aller ouvrir la porte, souriant bêtement, en déclamant avec une certaine emphase :
— Voilà, voilà, j'arrive. Garfield, je pense que tu vas être déçu : tes maîtres sont partis sans laisser d'adresse...
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Un chaton c'est mignon. Un chaton gris-bleu aux billes azur c'est craquant.
Un chaton qui s’était coincé par espièglerie, ou faim, la tête dans un sac en papier d’une livraison estampillé « Chop Suey Express » cela en devenait cruel. Sauf pour le chaton, qui, lui, continuait de s’amuser et de ronger de son croc une barquette de poulet à la citronnelle – à l’odeur absolument délicieuse – comment y résister ? À l’un et à l’autre.
— Miaow. Mi-mi-miawo…
— Ooooooooh ! Hiiiiiii ! comme il est adorable Oooooozzy, un petit chaton tout mignon, semi-hurla de joie et d'hystérie miellée Mélissa.
À son tour elle posa ses grandes billes azur sur Oscar, qui sentit bien que s’était jouée là une bataille perdue d’avance.
Cette journée lui échappait complètement.
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Pris entre deux feux, Oscar laissait osciller son regard entre le chaton à mes pieds et la ravissante jeune femme à ses côté, des images dantesques de sa collection de comics mâchonnés, de chaussures humides dégageant une odeur d’ammoniaque et de canapés éventrés se bousculant dans sa tête.
Il se mit à songer alors que les sensations d’un shoot d’héroïne ou de la phase finale d’une roulette russe devait à peu près ressembler à cela. Il était partagé entre cette extraordinaire sensation de vivre un moment précieux, retrouvant enfin la joie et l’insouciance si longtemps perdues chez son épouse et la très nette impression de faire une connerie monumentale, manipulé comme un enfant immature.
Il était en train de se faire avoir dans les grandes largeurs. Ce n’était pas elle. Cette fille était complètement à l’opposé du numéro qu’elle était en train de lui jouer. Contrôleuse de gestion dans une multinationale, c'était elle l'adulte, la personne responsable de leur couple...
Puis, subrepticement, incapable de résister davantage, d’autres images commencèrent alors à s'imposer aux premières venues à l’esprit : Mélissa à la fac, Mélissa à leur premier rencart, Mélissa, nue, lors de leur première fois, Mélissa en train de s’occuper de ses roses, Mélissa là maintenant et ses grands yeux bleus…
Attrapant délicatement le félin miniature, légèrement inquiet de sa réaction, maudissant intérieurement sa faiblesse mais si heureux de faire plaisir à sa femme, le jeune homme lui gratouilla la tête et le tendit à sa compagne avec un sourire sincère :
— Bien, comment va-t-on appeler ce goinfre ?
Les mains libres, il saisit le sac de plats asiatiques et commença à refermer la porte d’entrée en regardant aux alentours un peu interloqué par l’absence de livreur.
— Dis moi, chérie, c’est toi qui as commandé chez …. Scrutant le nom sur le sac en papier … Chop Suez Express ? Tu as payé en ligne ?
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Heureux fut le chaton contre la poitrine de sa femme.
— Non je n'ai rien commandé du tout, répondit-elle. Tu crois qu'il s'agit d'une erreur ?
— Miaow ?
— Oh non, toi tu n'es pas une erreur mon adorable petit chaton si mignon. Tu es beaucoup trop craquant pour ça. Tu vas voir tu vas te sentir bien chez nous. Je vais te montrer où se situera ta gamelle.
— Miaooooooooow !
Seul dans l’entrée de leur nouveau chez eux, avec son sac de chinoiseries – sentant toujours si bon –, Oscar fut complètement oublié.
— Et je t'interdis de faire tes besoins dans mes rosiers, d'accord ?
— Miaooow...
— Ozzy, ah ! finalement Mélissa voulait bien encore se souvenir de lui. Il faudrait que tu ailles en ville pour lui acheter des croquettes. On ne peut décemment pas laisser le petit… Shàngdì ! manger n'importe quoi.
Cette journée lui échappait décidément complètement.
Nouvelle ville, nouveau départ ! Miaow !
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Il lui répondit aussitôt mais il sentit qu'il n'existait déjà plus :
— Probablement un livreur pressé par le temps qui se sera trompé d'adresse. je vais les appeler pour les prévenir. J'en profiterai pour commander, qu'est ce que tu en penses ?
Il ne put s'empêcher de sourire lorsque il entendit le nom de baptême du chaton - Shàngdì ! Rien que çà ! -, pour le moment un peu surfait, et le "dialogue" un peu surréaliste pour qui ne connaissait pas sa chère et tendre.
Suite à sa dernière requête, il entra à son tour dans la cuisine pour poser le sac sur le plan de travail et récupérer les clefs de la voiture, tout en saisissant le numéro du traiteur asiatique dans son smartphone de l'autre main.
— Je te laisse la commande. Je pense qu'ils repasseront quand je les aurait prévenu. Je lui prendrai de la litière aussi en passant
Il embrassa tout sourire sa femme à nouveau, gratouilla distraitement la tête de leur hôte puis sortit de la maison pour chercher la voiture, garée devant.
Ayant placé le téléphone en mode mains libres sur le support du tableau de bord prévu à cet effet, il composa le numéro de Chop Suey Express une fois la synchronisation effectuée, tout en s'insérant dans la circulation
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Circulation fluide, comme toujours. Oscar avait peu de souvenirs d’avoir connu des embouteillages depuis leur installation à Providence. Une ville hors-temps.
— Chop Suey Express, répondit un jeune homme au bout de deux tonalités.
« Dans la plus grande tradition du restaurateur-traiteur asiatique », pensa-t-il.
Oscar s’en voulut une fois de plus de ce cliché.
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Tout en continuant scrupuleusement à surveiller ses rétroviseurs et angles morts, il décrocha
— Oui, bonjour, Oscar Wallace. Excusez moi de vous dérangez mais j'habite à Pearl Avenue, au 115, et je crois que l'un de vos livreurs s'est trompé. Nous avons trouvé une commande devant notre porte. Vous pouvez venir la chercher. Mon épouse vous attends
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Orange. Rouge.
Il ne tournait pas à droite, le centre-ville était au bout de la grande ligne droite. Les croquettes du nouvel enfant de la maison également.
« Enfant… », cette pensée arracha un pincement au coeur d’Oscar.
— Ne quittez pas, répondit le jeune homme.
Oscar ne quitta pas.
Vert.
Oscar redémarra, et ne quitta toujours pas.
— Bonjour Mr. Wallace. Comment se porte votre femme ? babilla le haut-parleur du kit mains libres.
Cette voix !
Cet accent !
La surprise lui fit griller un STOP.
C’était lui : L’étranger !
Aucun doute possible pour Oscar. Jamais il ne pourrait oublier celui par et grâce à qui il avait pu, il y a moins d’une heure, faire l’amour à sa douce et belle épouse ; vivante…
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Complètement abasourdi, il préféra se ranger sur le bas-côté, les mains tremblantes et moites sur le volant, imaginant sans peine ce qu'il allait se passer : l'heure du renvoi d'ascenseur était arrivé...
Il tenta péniblement d'affermir ma voix avant de répondre.
— Qui êtes vous ? Que nous voulez vous ?
Tout en discutant, il pianotait rapidement sur son smartphone, tentant de situer l'adresse du Chop Suey sur la carte du GPS
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— Un ami Mr. Wallace. Un ami soyez-en assuré, répondit l'accent. Nous avons tous besoin d’un ami, n’est-ce pas ?
La voix était celle d'un vieil homme, pourtant difficile de lui donner un âge précis du fait de son accent ; cinquante ans, soixante ans, peut-être même plus. Oscar envisagea qu’il pourrait tout aussi bien s’agir d’un adolescent, particulièrement doué dans l’art de jouer de sa voix.
Pendant ce temps, son smartphone n’eut aucun mal à trouver les « Chop Suey Express ». Les ! Les restaurateurs asiatiques manquaient d’originalité dans leur choix de noms et raisons sociales : 18 correspondances dans Providence et sa banlieue. 18 !
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Il grimaça en découvrant la liste des restaurants Chop Suey s'afficher à l'écran, mais il se fit aussitôt une raison : il y avait de fortes chances que son interlocuteur maîtrise autant que lui la recette du poulet à la citronnelle.
Il saisit l'arrête de son nez entre le pouce et l'index de la main droite en écoutant son "nouvel" ami, adepte de philosophie New-Age bon marché, faisant appel à ses souvenirs de fac pour essayer de situer sur une carte de l'Asie cet accent. Il finit par répondre avec un soupir :
— Et j'imagine que vous allez poursuivre en m'expliquant que les amis se rendent des services à l"occasion ? Que vous avez toujours voulu avoir un ami qui travaille pour l'IRS ?
En désespoir de cause, il lança la fonction dictaphone de son smartphone
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23 mars 2015, 00:35

— Voyez comme notre amitié est déjà forte Mr. Wallace, sourit le mystérieux interlocuteur. Nous nous comprenons déjà sans même formuler clairement mes attentes.
Si l’étranger ne jouait pas un rôle son accent devait être chinois. Mais ses répétitions agaçaient Oscar « ne peuvent-ils pas s'exprimer correctement, comme tout le monde… » Oscar sut que ses pensées étaient déplacées, mais il ne pouvait s’empêcher de l’imaginer dans une caricature – raciste – des vieux dessins animés ou de quelque doublage – raciste – de film d’action.
— Mr. Wallace, je suis très heureux que vous le preniez ainsi, et à la fois cela ne m’étonne pas. Votre dossier est absolument irréprochable, c’est exactement pour cette raison que nous faisons appel à vous.
« Qui est ce “nous“ ? » pensa Oscar. « Et laisse-t-il supposer que je puisse avoir le choix ? »
— D’ailleurs pour être honnête si nous n’étions pas qui nous sommes, si bien documentés, poursuivit-il, avec un tel parcours, sans la moindre faute ou écart, nous aurions pu penser que vous n’étiez pas si blanc.
Oscar ne put réprimer sa pensée : « Ce n’est pas moi qui ne suis pas très blanc dans l’histoire… »
— Mais les évaluations de vos cinq dernières années et l'étude de sûreté et de sécurité publique soumise peu avant votre départ sont formelles : vous êtes propre comme neige, un judicieux choix.
L’étranger ne faisait pas semblant d’en être un : les expressions 100% Made in USA n’étaient pas son fort.
Le Dictaphone d’Oscar enregistrait.
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23 mars 2015, 00:35

Il connaissait l'expression sans jamais avoir réussi à cerner le concept et encore moins l'éprouver physiquement. La tournure de cette conversation lui donnait clairement désormais des sueurs froides.
Son esprit carburait à plein régime, se perdant en conjonctures sur l'employeur de ce charmant monsieur. S'il se référait au niveau d'informations et à l'accent, cela aurait pu être le Guoanbu mais çà ne cadrait pas avec ses fonctions au sein de l'IRS. Il restait l'hypothèse crédible et glaçante que ce soient les Triades... Dans quoi s'était il fourré ?
D'une voix qu'il espérait ferme, il coupa la parole à son mystérieux interlocuteur, afin de mesurer le niveau de fraîcheur de ses infos :
— Pardonnez moi de vous interrompre, mais en quoi ce choix est judicieux ? Qu'attendez vous de moi ? Et que se passera t il si je refuse ? Attendez, laissez moi deviner. Vous allez vous en prendre à mon épouse ? Et si je vous annonçais que nos relations ne sont pas spécialement au beau fixe en ce moment ?
Il jeta un regard circulaire par la fenêtre, espérant, sans grande conviction découvrir un espion en imper mastic et chapeau mou au coin d'une allée sombre ou au volant d'une berline anonyme
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Son rire fut franc et spontané. La déformation de l’écho du haut-parleur manqua de vriller les tympans d’Oscar.
— Mr. Wallace voyons, réussit-il à reprendre avec toujours quelque sourire dans la voix. Si vous refusez, voilà qui serait dommage, nous nous quitterons aussi bons amis que nous le sommes déjà. Je ne vous ai pas fait sauver votre épouse pour la cuisiner à l’arrière de mon restaurant. Nous ce sont les chiens, vous savez bien ?!
Son idée, ou celle d’Oscar, lui suscita de nouveau l’envie de rire, il se contrôla néanmoins.
Oscar remarqua qu’une voiture de police venait de faire son apparition dans son rétroviseur, gyrophares éteints ; depuis combien de temps était-elle là ?
— Je vous accorde que le hasard a voulu dans son grand humour que je sois délégué à devenir votre superviseur, et qu’au vu de votre historique cela puisse vous inquiéter, mais Mr. Wallace, tous les vieux Chinois ne sont pas membres des Triades.
Le véhicule des forces de l’ordre traversa le carrefour et ralentit significativement, jusqu’à ne plus rouler qu’au pas en arrivant au niveau du véhicule d’Oscar.
— Je suis un authentique citoyen Américain élevé et attaché aux pancakes de l’Oncle Sam. Un patriote avant tout qui défend l'intégrité de son pays ! et il en était fier, vu l'aplomb avec lequel il l'affirmait. Si nous vous avons choisi c’est pour vos talents Mr. Wallace à ne pas lâcher prise et votre taux de réussite exceptionnel dans des dossiers sujets à opposition.
L’officier, une femme légèrement trop en chair, baissa sa vitre et fixa Oscar avec autorité, attendant qu’il en fasse de même. Pour qu’il n’y ait aucune équivoque possible : elle accompagna sa requête d’un geste.
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Bien que vaguement irrité par la réaction de son interlocuteur, Oscar ne put s'empêcher d'éprouver un immense soulagement lorsque celui ci lui annonça ne pas vouloir s'en prendre à Mélissa.
Un des mots utilisés au milieu du discours de son correspondant attira toutefois tout de suite son attention :
— Je vous remercie, c'est trop d'honneurs, mais j'aimerai éclaircir un point. Mon superviseur ? Qu'est ce qui me prouve que vous travaillez pour la bannière étoilée et pas pour Beijing ou Pyong.... ?
Restez en ligne s'il vous plait, j'ai justement un représentant de la loi qui souhaite me parler
Il baissa la vitre de sa voiture, s'apprêtant à demander l'officier l'objet de sa demande.
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— Bonjour, entama-t-elle avec amabilité. Tout va comme vous le souhaitez Mr. Wallace ? Un souci avec votre véhicule ?
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En répondant à la policière, le jeune homme tentait de lire le nom sur la plaque d'identité normalement accrochée à sa poitrine
— Bonjour officier. Tout va bien merci, mais au risque de paraître totalement impoli, je ne me souviens pas du tout des circonstances de notre première rencontre ? A quelle occasion ai je eu la joie de vous parler?
Il fais soudain le rapprochement entre cette conversation et le coup de téléphone surréaliste en cours. Non, ce n'était pas possible. Il regardait trop de films. Ce n'était pas la Californie. C'était une simple coïncidence, qui s'expliquait...., et bien...., simplement.
Complètement soumis à une crise de paranoïa aigue depuis quelques minutes, il ne put toutefois s'empêcher de surveiller les mains de mon interlocutrice, anticipant tout geste brusque
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Officer Frewing (mentionné en capitale sur son uniforme – au moins elle ne s’appelait pas Smith, Lee, Kong ou Fu !) sourit à la remarque.
— Vos voiture et permis sont enregistrés à votre nom monsieur, et vos assurance et photo sont suffisamment à jour pour que je n’ai pas besoin de faire vérifier vos papiers.
Si l’une des mains de l’officier n’était pas visible pour Oscar, à cause de la portière, et cela accentuait sa paranoïa compulsive, il put la voir tapoter sur son ordinateur de bord de l’autre et y afficher ses informations d’identité.
« Un jour ils pourront certainement nous dire la marque de croquette pour chat que l’on doit acheter », pensa-t-il.
Ce qui l’aurait bien arrangé.
— Par contre, si votre voiture n’a pas de souci technique, reprit-elle d'un ton prémisse à ce qui lui sembla être une question piège. Peut-être pourriez-vous m’expliquer Mr. Wallace pourquoi vous avez raté le STOP ?
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Il regarda son interlocutrice les yeux écarquillés, totalement incapable de réagir aux premières informations qu'elle lui avait donné. Il scruta attentivement par dessus son épaule et le siège conducteur pour tenter de situer le panneau en question puis revint vers la policière, dissimulant péniblement le brusque accès d'hilarité qui montait irrésistiblement, suscité par la situation, par un sourire éclatant.
— Eh bien, non je n'ai aucune justification ni même explication à vous fournir, officier Frewin. Je suis un incorrigible distrait et comme je suis nouveau en ville, je suis plus préoccupé par la peur de me perdre que par la signalisation. Je n'ai aucune excuse.
Vous avez besoin de mon permis ? tout en sortant mon portefeuille d'un geste lent
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L’aveu d’Oscar durcit le regard de l’officier ; la mine sévère, que le visage poupon n’aidait pas à rendre crédible.
— Effectivement aucune excuse ! Je vais devoir vous verbaliser Mr. Wallace. L’infraction est très grave, commenta-t-elle en récupérant son permis de conduire.
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Il prit son air le plus contrit, catégorie chiot mouillé, en donnant son permis de conduire à l'officier FREEWIN.
— Je suis sincèrement désolé. mais je suis nouveau en ville donc un peu déboussolé. Mais je comprends, vous faites votre travail. je vous demande juste un instant
Il reprit son téléphone, coupant le kit mains libres, et parlant de façon intelligible
— Je vous demande encore un instant, j'ai fait une bêtise
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Le nouvel aveu acheva de surprise l'officier :
— Vous étiez au téléphone Mr. Wallace ?
Par chance, hasard ou volonté d’agrément, car à n'en pas douter il devait tout entendre, jusqu’à présent, l’étranger n’avait pas émis le moindre son et s’était fait complètement oublier.
— Décidément, vous êtes plus que simplement étourdi monsieur, vint-elle appuyer en insistant plus encore sur son air si sévère.
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Il pris un air surpris, aussi sincère que possible
— Ah non, pas du tout. C'est pour prendre la conversation que je me suis arrêté. Je confesse le stop mais pas du tout le téléphone
Il tenta un pauvre sourire, le numéro 5, testé auprès de Mélissa quand elle l'attrapait sur le PC alors qu'il était censé bricoler ou faire la vaiselle, espérant qu'il marcherait au moins sur l'officier Freewin.
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L’officier perdit une seconde à hésiter devant son ordinateur de bord et la fiche d’Oscar, vierge de tout antécédent.
— Bon. Exceptionnellement ça ira pour cette fois Mr. Wallace, dit-elle d’un ton qui se voulut arrangeant. Nous sommes tous deux des officiers de la fonction publique. Mais veillez tout de même à ce que cela ne se reproduise plus. Il vaut mieux risquer de se perdre que de risquer un accident. C’est compris ?
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Son sourire s'épanouissait pleinement à présent, alors qu'il récupérait son permis de conduire
— Bien sûr, vous avez parfaitement raison et je suis sûr que Madame Wallace serait d'accord avec vous. Je ferai plus attention désormais. Vous avez ma parole. Merci Officier, vraiment. Passez une bonne journée !
Il mit brutalement fin à cette logorrhée verbale avant de se trahir à nouveau et tout foutre par terre.
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— Bonne journée Mr. Wallace, conclut l’officier. Mais soyez prudent surtout.
Plus d'inquiétude que de mal.
La voiture de police reprit sa route, laissant là Oscar, au volant, avec le sentiment qu’il venait d’échapper à des conséquences désastreuses ; avec les traites de la maison une contravention ou une suspension de permis n’était vraiment pas un luxe qu’il pouvait se permettre.
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Oscar poussa un long soupir de soulagement et attendis quelques secondes que son coeur cesse de cogner dans sa poitrine, soulagé de s'en tirer à si bon compte.
Il tenta ensuite de renouer le dialogue avec son mystérieux interlocuteur. Ne disposant pas d'entrée en matière brillante, il choisit l'efficacité :
— Vous êtes toujours là ?
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— Quel talent Mr. Wallace ! confirma-t-il. Quand je vantais vos mérites à résoudre des dossiers sujets à opposition je n’exagérais pas, nous vous avons observé.
Comme Oscar l’avait supposé : il avait tout entendu.
— Par contre vous semblez bien mauvais conducteur, ou du moins étourdi.
Cela le fit rire.
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Il respira doucement, laissant passer le sentiment d'agacement qui l'étreignait en entendant les remarques de son correspondant téléphonique, le laissant s'amuser un peu à ses dépends, afin de ne pas le braquer.
Dès qu'il sentit une ouverture, il s'y engouffra et relança la conversation :
— Très distrait en effet. Tellement d'ailleurs que j'avoue avoir un peu perdu le fil de la conversation. Où en étions nous déjà ?
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— Nous allions discuter de notre dossier sensible qui requiert vos compétences Mr. Wallace, et votre discrétion, reprit-il d’une voix posée.
Si l’homme ne jouait pas un rôle à travers son accent, il maitrisait parfaitement son affaire. Une totale décontraction dans pareille situation agaçait Oscar.
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23 mars 2015, 00:38

- Et des éventuelles conséquences si je venais à refuser cette offre que je ne pourrais refuser. Mais ne devriez vous pas avoir l'accent italien et la voix légèrement voilée ?
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Coup dans l’eau. La référence ne fut pas relevée, pour peu qu’il l’eût comprise.
— Pourquoi voulez-vous absolument qu’il y ait des conséquences si vous veniez à refuser Mr. Wallace ?
Oscar avait réussi à l’agacer. Juste un peu. Suffisamment pour que malgré l’accent cela soit perceptible.
— De plus, pourquoi voulez-vous absolument refuser, avant même de savoir dans quel type de dossier nous requérons vos compétences ?
Il marqua un point.
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Force était de reconnaître que son argumentaire faisait mouche et que l'un de ses plus vilains défauts - la curiosité - était fortement titillé par cette énigmatique conversation.
— Je ne peux pas vous donner tort. Vous comptez me faire cette proposition par téléphone ou nous allons nous rencontrer dans votre repaire secret, sur une île déserte avec page de sable fin et volcan actif ?
C'était plus fort que lui. Vu qu'il se faisait forcer la main, il résistait avec ses faibles moyens, en l'occurrence, par une provocation gratuite et totalement vaine.
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— Je m’en réjouis, et il sembla vraiment s’en réjouir. Dans ce cas, je vais vous laisser prendre connaissance, dans un premier temps, des éléments du dossier que vous avez reçu par boîte e-mail ce matin sur votre computer personnel Mr. Wallace.
« Mind fuck ! »
— Puis nous aurons tout le loisir de discuter si vous vous montrez intéressé, ce dont je ne doute pas une seule seconde.
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Oscar eut de nouveau un coup au coeur lorsqu'il entendit la proposition de son interlocuteur.
Ils auraient réussi ? Malgré tous ses logiciels de sécurité d'installés, et le fait qu'il utilisait un serveur distant... Ces types étaient sérieux !
Ses pensées vagabondèrent à nouveau vers Mélissa et leur petite conversation à nu de cet après-midi ; ils avaient peu parlé en réalité. Mais s'il était surveillé alors cela voulait dire que... Oscar se secoua et tenta de ne pas laisser transparaître ce sentiment de panique qui pourtant le submergeait au fil de ses pensées. Il n'avait plus qu'une hâte : raccrocher et rentrer pour démonter sa nouvelle maison, planche par planche !
— J'image que vous saurez comment renouer le contact, n'est-ce pas ? dit-il d'une voix qu'il espérait être la plus neutre possible. J'ai une échéance pour examiner cette opportunité ?
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23 mars 2015, 00:39

— Tout comme vous savez comment me joindre, rétorqua-t-il.
Il marqua un point supplémentaire : Oscar en aurait presque oublié que c’était lui qui l’avait appelé. Décidément, si tout ceci était un test ou une manoeuvre pour le compromettre, aucun élément n’avait été négligé. Toute démarche était de son fait, de son intention…
— Pour le délai Mr. Wallace vous savez ce que l'on dit : « Il vaut mieux arriver en retard qu’arriver en corbillard », et il s’en amusa beaucoup.
Une nouvelle expression que l’étranger ne maitrisait pas, sortie de son contexte elle pouvait presque faire froid dans le dos.
— Je vous souhaite une excellente journée Mr. Wallace. N’oubliez pas de respecter le code de conduite cette fois, conclut-il.
Il raccrocha, privant par là même Oscar de cette satisfaction.
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23 mars 2015, 00:40

— C'est çà, merci à toi Mama-san dit il rageusement, en rangeant son téléphone dans sa veste.
Il regretta aussitôt ce mouvement d'humeur bruyant mais il avait d'autres préoccupations pour le moment. Il repris la route, se forçant à observer scrupuleusement le code de la route et poussant le vice et le masochisme jusqu'à faire un détour par une animalerie pour prendre un sac de croquettes et un panier.
Il se répétait en boucle comme un mantra que tout irait bien, qu'ils ne ferai aucun mal à Mélissa - pour le moment mais cette incantation n'eut finalement que peu d'effet sur sa nervosité.
Il se gara devant la maison et entra hâtivement dans la maison appelant son épouse, tout en essayant de conserver un air naturel
— Ma chérie ? Je suis rentré ?
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20 juin 2015, 20:21

La maison était vide. Toutes les pièces l’étaient. Aucune âme qui vive, ni femme.
Et quelques secondes plus tard, le ronflement d’un chaton, bienheureux sans aucun doute, qui dormait dans un panier improvisé avec l'un des pulls d’Oscar.
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30 juin 2015, 23:35

Un sentiment irrépressible de panique l’envahissait peu à peu, alors qu'il passait de pièce en pièce et sortait bredouille à chaque fois, avant de s'arrêter net devant le lit improvisé du minuscule félin, en se faisant la réflexion, totalement incongrue au regard de la situation, que Mélissa aurait pu pourrir ses propres pulls.
Pris d'une inspiration subite, il se précipita dans la cuisine pour observer le jardin, espérant découvrir sa compagne au milieu des roses
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04 juil. 2015, 15:29

Déception.
Hormis si Mélissa servait d’engrais pour sa roseraie ; son propre trait d’humour noir allié à sa paranoïa excessive ne le fit pas sourire pour une fois, étrangement.
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10 août 2015, 13:13

Oscar s'empara fébrilement de son smartphone qui, bien évidemment, méchanceté intrinsèque des objets vis à vis du genre humain, se prit dans les plis de sa poche de jean encombrée. Après plusieurs secondes interminables de lutte, il parvint enfin à extirper l'objet pour composer le numéro de Melissa.
— Réponds, réponds....
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15 sept. 2015, 15:18

Satisfaction.
— Ozzy ? Tu ne devrais pas appeler au volant.
Mélissa avait conservé un petit bout de bonheur de la matinée dans sa voix.
Le bon conseil de sa femme fit clic clic clic dans son cerveau. Cette journée mettait vraiment à mal sa tension.
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17 sept. 2015, 12:32

Satisfaction, soulagement et un irrépressible besoin physiologique de passer aux toilettes
— Pas d'inquiétude, je suis rentré. J'avais oublié....mon portefeuille. Tu es sortie ?
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18 sept. 2015, 15:18

— Je suis dans le centre-ville, répondit-elle sans plus de précision. On dine ensemble ce soir ou tu penses avoir encore des cartons à défaire ?
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21 sept. 2015, 12:52

Le contraste entre son insouciance et son humeur est un gouffre insondable...Et en même temps, que pourrais il lui dire ?
Oscar essaye de garder une contenance, préférant garder pour lui l'échange avec son mystérieux correspondant pour le moment, ne voulant pas l'affoler et piétinant ainsi allègrement au passage sa nouvelle résolution consistant à baser le futur de leur sur le dialogue.
— les cartons, euh, oui, non j'ai terminé tout à l'heure. On peut diner dehors, oui, c'est une bonne idée. Je file chercher ce qu'il faut pour le chat et on se retrouve à la maison ?
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08 oct. 2015, 14:28

— Je ne pense pas repasser par la maison Ozzy, mais je t'envoie par SMS l'adresse du restaurant dès que j'en ai trouvé un. J'aimerais bien diner sur la jetée.

[N.D.A. La conclusion de cet Episode fut écrite et publiée sans la contribution du coauteur Sébastien, interprétant le Protagoniste Oscar Wallace, ce dernier ne donnant plus ni suite ni signe de vie, quittant – par défaut – l'Histoire Je suis Providence et le projet Il était u̶n̶e̶ notre fois...]
— D’accord, d’accord, j’attends ton SMS.
— Pour ton portefeuille, il est sûrement dans ton bureau. Tu en profiteras pour lui prendre un griffoir ?
Après ça, elle raccrocha.
Le félin patassa son pull.
« Hey ! » lâcha Oscar debout seul devant le téléphone.
Il bailla avec une nonchalance étudiée, et se rendormit.
Oscar laissa tomber ; il savait avoir déjà perdu cette bataille, et il avait surtout besoin de se soulager… Avant de grimper les marches quatre à quatre, plus léger, pour prendre connaissance du mystérieux dossier de son tout aussi mystérieux interlocuteur étranger.
Le dossier qu’il était censé avoir reçu ce matin !
Oscar fixa son ordinateur durant de longues secondes ; et s’il était piégé ? et si tout ceci n’était qu’un grand piège ? et si son bureau était en réalité truffé de micros ?
Il se trouva ridicule et complètement déraisonné. Mais pas plus que cette journée qui n’avait aucun sens. Après tout, il allait peut-être se réveiller… dans les bras de Mélissa, ce matin.
Le chaton miaula.
Oscar lança une playlist de musique aléatoire et monta le volume des haut-parleurs, un peu au-dessus du maximum qu’il s’autorisait en temps normal, juste comme ça, par précaution…
Le chaton cessa de miauler.
Il prit une grande respiration et ouvrit ses e-mails : Rien ! juste les spams et promotions habituels. Oscar rit, de lui-même, de cette bonne blague ; un bizutage dans les règles par sa nouvelle agence. Il imaginait déjà les sourires étouffés, lundi, de ses collègues de l’IRS. Quelle bonne poire il faisait ! Naturellement que c’était beaucoup trop gros pour être plausible…
L’e-mail arriva, une archive de documents en pièce-jointe.
Oscar ne riait plus. Il trembla. Il hésita. Il se leva. Il fit les dix pas, en rond, que lui permettait la taille de son bureau. Il hésita. Impossible de contester son existence.
C’était trop tard.
L’ouvrir ne fut qu’un simple automatisme.
Les yeux d’Oscar parcoururent les informations, les listes, les noms, les chiffres à plusieurs zéros, contenus dans le dossier. À en croire les documents, s’ils s’avéraient authentiques, il y avait là beaucoup plus que de simples suspicions de fraudes fiscales ou pots de vin. Un flot de vrais éléments, des flux traçant une cartographie financière entre la mairie, des compagnies et personnalités de Providence, toutes méritant d’être citées dans le classement Forbes des fortunes des USA – et peut-être l’étaient-elles. Le document continuait sur le même registre et ce sur une sacrée longueur. Oscar se mit à sauter des passages, histoire de voir où le hasard du scroll le ferait tomber.
Il atterrit à Brown, deux ans plus tôt.
À travers l’entre-deux de This Is Not America, de Pat Metheny Group et David Bowie, et la prochaine chanson, quelque part, tout près, il entendit une voix, et ses pas qui s’approchèrent lorsqu’elle passa la porte de son bureau pour le rejoindre.
— J’aime pas ça, dit quelqu’un.
— Il en sait trop, cet idiot, dit une voix familière.
« Mais non, je ne sais rien du tout », pensa Oscar.
Puis il cessa de penser.
« Oui, tout est Néant
Passage, vapeur, silence
Cependant. »
 — Kabayashi Issa

Verrouillé

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