Chapitre 7. – À nous de vous faire préférer le train

« Ce fut une fierté d’avoir fait partie d’eux, de cette famille pendant toutes ces années, d’avoir pu partager tant et toutes ces choses avec eux, et d’avoir vécu, grandi, d'avoir éprouvé la renaissance à leurs côtés. Je vous promets d’emmener avec moi le meilleur de chacun, ils me serviront de modèle partout et à chaque fois. Je tombe genoux à terre et embrasse le bitume sale de mes lèvres closes, jurant en silence une loyauté éternelle à votre pérennité. Un dévot de La Providence ; ce n’est pas ce que je voulais, mais je suivrai maintenant cette fatalité avec dignité. Jusqu’à la fin. Quand il ne restera que poussière. Peut-être parce que je considère chaque épreuve comme une leçon, ou alors parce que je n’ai plus aucune colère au coeur de ma volonté. A moins que j’ai fini par ne plus comprendre. Je sais. La réciprocité entre leurs actions et le libre arbitre n’avait plus lieu d’être. Il y a des choses, des faits, que je ne souhaitais pas voir se produire, pas voir exister, surtout pas voir tout court, mais je dois désormais en tenir compte, les accepter. Divine Ville, vous, j’ai fini par vous remercier de votre témoignage, sans le moindre commentaire. Mais pour les Autres, qui serais-je ? »

Je me souviens de chacun de ses mots, aussi confus m'aient-ils paru à cet instant. Nous, simples citoyens de Providence, capitale du plus petit État des États-Unis, le Petit Rhody, n'avons jamais vraiment su quel pronom personnel utiliser, pas plus que sa catégorie grammaticale ; était-IL vraiment le seul tueur ? Même ce qualificatif n’explique pas tout.
D'ailleurs, les autorités tournèrent en dérision la conclusion de cette histoire : « crimes ayant pour responsables une ou plusieurs personnes inconnues ». Quant aux journaux, ils titrèrent avec cynisme : « IL n’était pas notre Providence ». Tous les autres y allèrent de leurs versions, jusqu’au silence. Tous avaient tort, surabondant de confiance dans leur étroitesse de l’ensemble… alors que toute cette histoire n’était qu’un chassé-croisé pour et autour de nos destinées, nos fautes, notre Histoire, l'Espoir… Et il ne reste que poussière.
Sinon, pourquoi auraient-ils tous décidé de taire sa profession de foi, celle retrouvée sur sa dernière victime : Moi !

[Mary Olivier a dit : « Quelqu'un que j'ai aimé m’offrit un jour une boîte emplie d'obscurité. Il me fallut des années pour comprendre que ça aussi, c'était un cadeau. »]
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CHAPITRE 7.

(À nous de vous faire préférer le train)
Providence – 53 jours avant la Fracture, 8h48

᰾ Le train avait adopté l'allure d'un escargot. Derrière les vitres, tout était plus noir que jamais. Les lumières clignotèrent, puis s'éteignirent. Cette fois-ci, elles ne se rallumèrent pas.
Kelley demeura dans les ténèbres absolues.
Puis un sifflement. Les portes s'ouvrirent. Une odeur pénétra dans la voiture, une odeur si caustique qu’elle ne put s’empêcher de plaquer une main sur sa bouche pour l'empêcher de s'insinuer en elle.
Kelley resta immobile, silencieuse, la main à la bouche, durant ce qui lui sembla être une éternité. – Si tu ne vois pas le mal. Si tu n'entends pas le mal. Si tu ne dis pas le mal. Le mal existe-t-il ?
Puis il y eut une faible lueur derrière la vitre. Elle découpa l'ouverture de la porte en silhouette et se fit peu à peu plus intense. Bientôt, il y eut assez de lumière dans la voiture pour que Kelley puisse distinguer les corps affaissés, enchainés, à ses côtés, et les quartiers de viande jaunâtre qui pendaient à leur crochet.
Il y eut un murmure aussi, venu de l'obscurité autour du train, un rassemblement de voix ténues, comme des voix d'insectes. Dans le tunnel, titubant vers le train, se trouvaient des êtres humains. Elle distingua leurs silhouettes à présent. Certains d'entre eux portaient des torches, qui brillaient d'une lumière brune et terne. Le bruit était peut-être produit par leurs pieds traînant dans la boue, ou par leurs langues claquant dans leurs bouches, ou par les deux.
Le grésillement qui approchait était un peu plus fort à chaque instant. Kelley recula de quelques pas pour s’éloigner des portes ouvertes, mais ce n'est pour que pour s’apercevoir que les portes derrière elle étaient également ouvertes, et qu'il y avait aussi un murmure qui s'approchait dans cette direction.
Elle se plaqua contre l'un des sièges et elle alla pour se réfugier sous lui quand une main, frêle et mince jusqu'à en être presque transparente, apparut à la porte... ᰾
— Providence, nous sommes arrivés messieurs-dames, dit le haut-parleur, du même ton que celui d'une annonce banale. Nous repartons dans une demi-heure pour Boston.
La nuque raide, la marque de sept bracelets sur la joue, 37% de batterie sur son iPhone et un filet de bave d'une fraicheur douteuse en guise de mauvais réveil. Non, pas une seule seconde Kelley ne regrettait d’être devenue végétarienne. Excepté le goût de la viande…

Histoire_Les Chroniques de Providence – Tales of The Divine City-Je suis Providence_Chap.7_001.jpg
(À nous de vous faire préférer le train)
« Oui, tout est Néant
Passage, vapeur, silence
Cependant. »
 — Kabayashi Issa

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Kelley Doe
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20 mars 2015, 15:04

Etait-ce là le signe qu'elle attendait pour savoir sa destination atteinte ? Ou était-ce une intuition lui soufflant de fuir ce lieu au plus vite ? Une chose était sûre, il était impossible pour Kelley de rester plus longtemps dans ce wagon. Une demie-heure d'arrêt, c'était assez pour se dégourdir les jambes, se changer les idées et savoir si elle posait sa valise quelques temps à... Quelle ville venait d'annoncer la voix désincarnée du haut-parleur ? Providence. Un bien joli nom. La ville arrivait-elle à point nommé ?
La jeune femme remit ses bracelets dans l'ordre, saisit son iPhone en soupirant devant son manque d'autonomie et attrapa sa valise. Un instant plus tard, elle descendait avec soulagement du wagon et, tout en se massant machinalement la nuque endolorie, regardait les autres passagers présents sur le quai.
« En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre, en surface comme en profondeur. » - Gandhi

Verrouillé

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