Dans la chaleur de l'été

Hiver 1890, Londres, capitale d’un fier Empire Colonial qui peut s’enorgueillir de ne jamais voir le soleil se coucher sur ses terres. Centre mondial des affaires et du commerce, c’est un colosse aux pieds tendres qui peine à se relever des terribles meurtrissures que lui a récemment infligé un impitoyable boucher. La dichotomie de contrastes qu’elle offre habituellement est depuis peu masquée par un smog omniprésent. La richesse côtoie la misère dans un improbable melting pot. À peine quelques centaines de mètres séparent les riches hôtels particuliers des rues sordides de Whitechapel où aiment à s’encanailler une frange de la noblesse et de la bourgeoisie. La chape de plomb, un temps soulevée, s’est à nouveau abattue sur ce quartier de sinistre réputation. En dépit de tout cela, les affaires continuent de se conclure, il s’y déroule toujours des soirées huppées, où la pudibonderie victorienne est souvent mise à mal. Les clubs, des plus sélects aux plus obscurs, ne cessent d’accueillir leurs membres triés sur le volet ; les populations de l’East End n’en finissent pas de battre le pavé, l’échine courbée, à se demander où ils dormiront ce soir et s'ils éviteront pour cette fois les affres de la faim.
Pourtant, sans que la moindre rumeur ne bruisse, se pourrait-il que quelque chose se prépare ? Inflexibles, les Parques filent la trame du destin et celui de quelques rares élus va se retrouver lié, de bien curieuse manière, à un tragique évènement venant de se produire à deux pas de Regent’s Park, dans un petit appartement sis au premier étage du 221b Baker Street…

[William Shakespeare a écrit : « L'immonde est beau et le beau, immonde. Planons dans le brouillard et les miasmes du monde. »]

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21 oct. 2016, 23:54

La capitale londonienne n’avait guère changée, la population plus dense, les moyens de transports plus nombreux et bruyants causaient un tohu-bohu infernal. Les cheminées des usines crachaient une suite sans fin de fumées plus noires les unes que les autres et leurs retombées obligeaient souvent les londoniens à respirer à travers des mouchoirs. Les parcs étaient des lieux plus agréables trop souvent envahis par des mômes braillards que surveillaient de loin les jeunes nurses en charge de s'occuper d'eux.
Heureusement, bibliothèques et musées étaient encore des havres de paix que peu de gens avaient le temps de fréquenter. En soirée, théâtres et autres cabarets offraient une diversité de spectacles appréciable même si la qualité était loin d’être toujours au rendez-vous. De même il était facile de s’encanailler dans les quartiers chauds et encore plus simple de s’y faire dépouiller.
Le printemps venait de céder la place à un été conquérant qui risquait de rendre la ville difficilement supportable. Le Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway n’était arrivé que depuis quelques semaines. Son notaire, enchanté de voir un client habituellement trop heureux de l’éviter, lui avait fait savoir que certaines affaires qui n’avaient que trop longtemps attendues, devaient être régler sur l’heure. Le Comte avait tout d’abord cru que le tout serait effectivement vite expédié. C’était sans compter sur le jargon notarial, lequel avait une toute autre définition de « sur l’heure » que le commun des mortels.
Mais enfin tout cela était derrière lui, tout comme le désagrément de devoir trouver une demeure qui le satisfasse. C’était la troisième, il y résidait depuis quelques jours et tout semblait s’y passer pour le mieux. Soit les voisins étaient discrets, soit les murs mitoyens étaient suffisamment épais pour préserver ses tympans. La petite rue, presque une ruelle, était trop étroite pour qu’un cab puisse s’y aventurer. Exiguë, relativement douillette et meublée jusque ce qu’il fallait, la maison aurait tout de même méritée d’être rafraîchie. Par contre, luxe suprême dans une ville ou le soleil avait rarement la place de se faufiler dans l’intimité des gens, une vaste baie vitrée lui permettait de s’y déverser sans retenu. Seul petit inconvénient, les premières journées encore fraîches, avaient laissé à penser que l’hiver venu, elle demanderaient d’ample provision de bois et de charbon pour contenter les amateurs de chaleur.
Il était plus que temps pour le Compte de vaquer aux occupations qui l’avait amené jusqu’au bord de la Tamise.

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25 nov. 2016, 02:30

— Les coulisses d’un théâtre voient-elles jamais le rideau se lever…
Cette pensée, exprimée à voix haute comme il arrivait souvent au Comte, sembla l’amuser. Inlassablement. Il n’envisageait plus commencer une journée, les vraies à demi-fausses, celles où il lui fallait côtoyer l’extérieur et les Autres, sans la maugréer. Elle prodiguait aussi pour plaisir au Comte de lui consacrer le programme de chacun de ses soupers : une pièce, et une tragédie de préférence. Inlassablement. Depuis son premier jour à Londres. Inlassablement.
Mais le souper se voulait loin, pas plus qu’il n’avait vraiment faim… Le Diogène Club tiraillait ses entrailles dès le premier pas posé sur le pavé de la capitale. Et la bile noire qui y infusait son cru. Le Comte revêtit son lourd manteau de fourrure tel son premier et seul rôle, celui de toute sa vie. Sa canne-épée vint rejoindre sa main, comme chacun de ses accessoires.
« En avait-il déjà été autrement ? », se rappela-t-il.
Et délaissant sa peinture (une nature morte contemplative : un jeune éphèbe se vidant de sa substance dans une rue aux miasmes malodorants ; dans un coin du tableau des cerises confites), qui attendrait bien là son retour, et qu'il avait déjà oubliée, abandonnée à son bon souvenir, il se hâta. Si jamais les figurants qui déambulaient dans les rues ne venaient pas à bousculer sa propre direction. Il lui était temps de faire connaissance, avec ses réponses, et l’indolent mais officiel Holmes. L’aîné.
« À mon image, lequel des deux est-il le bon frère ? »
Dehors, le Comte sortit. Sitôt la porte claquée et le premier pas sur son perron qu’il en vint déjà à le regretter. Les humeurs… Marcher, poser un pied devant l'autre, pour flanquer ses indigestes salmigondis.
— « Par une sombre route déserte, hantée de mauvais anges seuls, où une Idole, nommée Nuit, sur un trône noir règne debout, je ne suis arrivé en ces terres-ci que nouvellement d’une extrême et vague Thulé… »
Lui aussi, en son sens s’était maudit.
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01 déc. 2016, 22:54

La foule des grands jours se pressaient dans les artères animées. La météo des plus clémentes, laissait apercevoir un ciel presque totalement dégagé. Même le vent s’était fait amical, chassant les fumées plutôt que de les rabattre sur la capitale comme bien trop souvent. Le comte avançait d’un pas sûr, fendant une foule qui semblait s’ouvrir au devant de lui tels les flots vaincus par la proue d’un navire. Les cabs et autres véhicules se montraient, eux, moins enclins à le laisser avancer à sa guise mais au moins le temps sec lui évitait d’avoir à se méfier des projections de boue.
Rejoindre le Diogene’s Club, qui comme tout les plus importants clubs londoniens, se situait non loin de Westminster, s’était assurément pas loin d’une heure de marche. Plus si l’on souhaitait éviter la traversée de Regent’s Park. Les crieurs de rue haranguaient les passants tandis que de nombreux enfants tentaient de gagner quelques pence en proposant des allumettes et autres broutilles du même acabit. Profitant de brèves accalmies au milieu des cris et des hennissements, des claquements des fers et des roues sur les pavés, une litanie de paroles, saisies au fil de l’air, formaient une improbable ritournelle.
St. James Street laissée de côté, la cohue aperçue de loin lui ayant fait craindre pour sa santé mentale, Sir MacFhearghuis s’engagea dans Pall Mall qu’il ne lui restait plus qu’à remonter sur une bonne partie de sa longueur. Il laissa derrière lui le Traveller’s et le Reform Club pour enfin apercevoir sa destination. Le bâtiment était d’une grande sobriété et n’attirait le regard que par la blancheur immaculée de ses murs. Trois marches permettaient d’atteindre une porte qui n’arborait pour seule fioriture qu’un heurtoir en bronze à tête de lion.

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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02 déc. 2016, 08:21

Le Comte frappa les trois coups.
— Que le rideau se lève ! soliloqua-t-il, un frisson glacé pour seul auditoire.
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07 déc. 2016, 15:29

Le heurtoir, manœuvré comme il se devait, laissa entendre un son étonnamment étouffé au point que c’était à se demander comment il pouvait bien remplir son office. Pourtant, la porte ne tarda pas à s’ouvrir sur une haute silhouette laissant à peine percevoir un vaste corridor. L’homme, stylé, la mise parfaitement ajustée, embrassa le visiteur du regard l’espace d’un instant et son visage d’aspect sévère afficha alors une neutralité bienveillante.
Il fit un pas en avant, se positionnant sur la première marche.
— Soyez le bienvenu Sir. Reculant tout aussitôt, il s’effaça pour laisser passage au Comte. Le corridor, perpendiculaire à la rue, aboutissait à un vaste escalier menant à l’étage. De chaque côté un étroit passage ouvrait la voie vers ce qui devait être des lieux réservés au service. Sur la gauche, un guéridon recouvert d’un napperon ouvragé supportait un plateau en argent. Juste à côté, placé de manière à ce que le regard de tout visiteur tombe immanquablement dessus, un écriteau portant ces quelques mots en français. Le Silence est d’Or.
Le mur de gauche, partiellement vitré, montrait un immense salon que quelques gentlemen occupaient, pour la plupart plongés dans la lecture de journaux. Celui de droite, abritait deux portes et la plus proche de l’entrée arborait une plaque, Salon des étrangers.
Le majordome, plateau désormais en main, attendait cérémonieusement.

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30 déc. 2016, 21:51

Le Comte attendit, et, ad litteram, compta les clous de la porte. D'aucuns auraient pu interpréter cette situation comme un manque d'assurance du Comte dans de pareilles circonstances et en pareils lieux – quelle idée parfaitement absurde, à la limite du ridicule ! –, mais il n'en était assurément rien. Ô Lord, non ! le Comte laissait là, avec une grande magnanimité, la pierre et la rumeur s'abreuver de sa présence ; comme celle qui ne parvient pas à imprégner notre vie de tous les jours, une pensée que le penseur ne possède pas encore tout entière, pourtant dont il ne peut nier sa légitime existence même.
Le Comte attendit.
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30 janv. 2017, 16:22

L’adage voudrait que l’importance d’une personnalité, se mesure à l’attente qu’elle suscite. Le Comte venait de comptabiliser son trente-et-unième clou, lorsque la porte céda le passage à une silhouette massive. Le secrétaire du Diogene’s Club, s’il s’agissait bien de lui, était soit une personne insignifiante, soit de ceux, suffisamment sûrs d’eux pour ne pas recourir inutilement à de tels stratagèmes. D'une haute stature, l’embonpoint certain, il ne passait pas inaperçu. Ses cheveux gris, taillés courts parvenaient malgré tout à boucler par endroit. Ses rondeurs lui permettaient d’afficher une franche bonhomie, même si son visage, d’où ressortaient en premier lieux d’épais sourcils broussailleux, affichait un air quelque peu austère. Il entra sans hésiter, refermant derrière lui.
— Mycroft Holmes. Très cher Comte, comme je suis heureux de constater que vous avez accepté notre invitation; soyez le bienvenu en ces murs. Un sourire avenant confirmait son propos tandis que son regard vif et pénétrant dévisageait l’air de rien son vis-à-vis. Il afficha alors un air désolé.
— Je crains, avec votre accord, de vous accaparer un long moment. C’est pourquoi, si vous n’êtes pas pressé par le temps, je vous propose de déjeuner en ma compagnie, ici-même. Je peux sans aucune difficulté nous faire servir des en-cas que nous pourrions déguster accompagnés d’une stout dont vous me direz des nouvelles. A moins que vous ne préfériez du vin ?

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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24 avr. 2017, 16:02

— Mr Holmes, en retour de votre sympathie, soyez rassuré de recevoir les bons souvenirs des MacFhearghuis de Galloway, répondit solennellement le Comte, à l’accent guttural.
Sa voix, pareille à son physique, et sans nul doute un esprit endurci, était celle d’un hors venu. Le Comte dominait toute personne, et sur bien des ressentis, par la seule carrure de sa carcasse. Néanmoins, sans pourtant être en mesure d’expliquer la cause ni plus de raison l’origine, il exerçait sur les hères un magnétisme rémanent. L’irréversibilité du vide, une gêne sans temps.
De cette funeste étude le Comte n’était assurément pas un de ces chevaux que l’on achevait bien ; et Mr Holmes (sénior), en voulant tester du parti pris de son invité, en eut comme il s’y attendait la confirmation – ces Anglais !…
— La seule crainte que vous devriez avoir, Mr Holmes, serait si vous persistiez dans la suggestion d’une spécialité irlandaise, de filiation anglaise avec la Porter, en guise de boisson de bienvenue à un chef de clan écossais. Ce sont des hommes de tradition fort bourrus, que leurs humeurs d’exercice et les mémoires de Culloden n’ont pas contribué à rendre bienveillants pour ces hégémonies culinaires. La tradition, comme l’alcool et l’éducation ne sont pas une question de quantité, c’est une question d’idiosyncrasie.
Le Comte n’avait esquissé aucune variation de ton, parfaitement équanime dans l’apposition de ses politesses, susceptibles à de diverses interprétations – ces Écossais !…
— Il me semble que pour l’importance de l’accaparement dont nous allons nous entretenir, avec un plaisir non feint, de mon accord vous êtes signifié Mr Holmes, notre déjeuner mériterait une boisson sans ivresse, pour des hommes aux esprits éveillés. Si vous devancez ma pensée, et je ne doute pas une seule seconde qu’il ait pu en être autrement depuis votre courrier, le café me semble être de ces choix judicieux. Et comme l’heure et le mot arabe s’accordent à « kahoueh : ce qui donne de l’appétit », et aurait la même origine que celui du « vin », cela nous semble être un compromis d’à propos.
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26 avr. 2017, 16:29

Ne s’offusquant nullement, Mycroft afficha même un franc sourire avant de battre sa coulpe, du geste et de la parole.
— Mea culpa Sir. Sachez que les relations que j’ai eu la chance et l’honneur de tisser avec les MacFhearghuis de Galloway vont bien au-delà de toutes les questions triviales dont nous pourrions avoir à débattre. Pour emprunter les mots de Madame de Sévigné, mon intention n’était nullement de jeter de l’huile sur le feu.
Il marqua un court silence avant de reprendre.
— Que diriez-vous de composer vous-même avec la nature de ce déjeuner que nous ferons accompagner d’un café directement en provenance d’Egypte?

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03 mai 2017, 21:01

— … Bien au-delà de toutes les questions triviales… Oui, « le Silence est d’Or », me rappelait toujours notre Père lors des repas. « Et pourquoi pas alors,/En fer ou en argent ? », répondais-je inlassablement, comme mars en carême. Il nous faudra faire une exception pour le nôtre de déjeuner, Mr Holmes ; le silence ne saurait apporter un sujet riche d’intérêts.
Le Comte étouffait ne sait quelle vague élégiaque, l’obscur souvenir d’être si proche ; à une tasse, juste une tasse d’un liquide empreint de noirceurs. Amer.
— Je vous suis, Mr Holmes, mes dispositions furent prises sur le perron en vue de cet instant. Les liens qui unissent nos familles ne savent être oubliés, malgré les années, malgré les condoléances.
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18 mai 2017, 15:40

— Je vous en sais gré, Sir.
Un repas, des plus appétissants, essentiellement basé sur des viandes froides accompagnées d’un cheshire parfaitement affiné et d’un Caboc crémeux à souhait flanqué de ses oatcakes, leur fut rapidement servi. Quoiqu'il en fut, le silence régna un long moment. Les règles de conduite entre gens de la bonne société, et à dire vrai la plus élémentaire des politesses, recommandaient de faire honneur sans excès aux repas que l’on se voyait offrir et les deux hommes ne s’en privèrent pas. Le café, préparé selon toute vraisemblance à l’exacte température permettant d’en apprécier toutes les saveurs, était à l’avenant.
Plus rien n’interdisait d’entrer dans le vif sujet, aussi…
— Feu votre frère vous a peut-être entretenu du club en lui-même et de certaines de ses aspirations. Ce qui n’aurait rien de choquant, car si nous préférons généralement faire preuve d’une certaine discrétion, rien n’interdit de s’en ouvrir ; surtout auprès de ses proches. Par contre, je gage qu’il a probablement gardé certains faits par devers lui. Ainsi, ma question va certainement vous paraître curieuse, pour ne pas dire saugrenue. Vous seriez-vous déjà intéressé aux choses de l’occulte, ne serait-ce que de très loin ?

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23 mai 2017, 13:51

— Poursuivez, Mr Holmes.
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07 juin 2017, 20:44

— Londres est la ville cosmopolite par excellence, loin devant New-York qui se veut la porte ouvrant sur les Amériques ou même Paris et Marseille. Les nationalités en présence dépassent de loin le cadre de l’Empire. Rien ou presque n'est échangé dans le monde sans transiter à un moment ou un autre par le port de Londres et dans une moindre mesure, celui de Liverpool. Je ne fais là qu'énoncer des faits qui vous sont connus, j'en suis bien conscient, tout comme le fait que tout ce qui existe de mouvement religieux est plus ou moins toléré. Il en existe aussi d'autres que je qualifierais de sectaires.
Mycroft laissa planer un silence, comme pour organiser ses idées avant de continuer.
— Certains sont connus, d'autres moins voir pas du tout. Parmi ceux qui peuvent venir immédiatement à l'esprit, il y a les Thugs. Soit dit en passant, ils sont beaucoup moins nombreux et infiniment moins dangereux qu'on veut bien le faire croire. Entre nous, j'avouerai même ne pas comprendre tout ces efforts visant à les éradiquer. D’autres, le plus souvent de simples groupuscules, sont impossibles à dénombrer du fait de cette insignifiance ou de leur capacité à rester dans l’ombre. Très souvent, ils agissent dans la mouvance de ce que j’appellerais l’occultisme dans un sens volontairement très large. Je vous avouerai très franchement ne jamais m’y être véritablement intéressé, ni même penser qu’il puisse réellement en ressortir quelque chose. Votre frère était fait du même bois.
Il se tut à nouveau durant quelques secondes.
— Pourquoi ce discours me direz-vous, qui n’est somme toute que du verbiage. D’une part parce que depuis la publication des théories de Darwin, ces groupes, sociétés secrètes, profitent d’un terrain particulièrement fertile pour progresser et d’autre part, car il semblerait que certains prônent des philosophies dangereuses pour ne pas dire déviantes. Votre frère était là aussi du même avis et tout disposer à collaborer avec moi…

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08 juin 2017, 15:17

— Suis-je le gardien de mon frère ? cita le Comte, en suscitant en moins l’ironie. Puis il conviendrait avant de faire appel systématiquement à la collaboration bénévole de sa mémoire, et de la mienne, ainsi dans votre sollicitation, de poursuivre mais cette fois dans le concret.
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26 juin 2017, 19:58

Les yeux de Mycroft cillèrent plusieurs fois et subséquemment sa voix se fit hésitante.
— D’aucuns le pensent, certains régentent même la vie de leur fratrie au prétexte d’être l'aîné ; très peu pour moi. L’on peut être proche d’un frère sans avoir besoin d’en connaître la vie jusque dans ses moindres détails.
Après s’être assuré que le café était encore suffisamment chaud, il se saisit de la verseuse en argent pour regarnir les tasses.
— Entrons donc dans le vif du sujet. Une sombre cabale à été mise au jour en 1877, quelques mois avant le début du conflit en Afghanistan. L’affaire a été soigneusement étouffée car les actes commis étaient horribles. Le fils d’un de nos anciens membres s’y est retrouvé impliqué ; d’un caractère faible, il aura vraisemblablement été manipulé par une jeune métisse égyptienne. C’est pour cette raison que je suis au fait des événements. Je ne vais pas vous accabler de détails macabres mais sachez que de nombreuses personnes sont mortes, sacrifiées, il n’y a pas d’autres mots, d’une manière épouvantable. Tout cela, semble-t-il au nom d’un certain « Pharaon Noir ». Nous n’avons pas pu réussir à faire de lien avec la XXVe dynastie égyptienne mais il s’est avéré que Londres n’était que la ramification de quelque chose de beaucoup plus vaste en Egypte. Malheureusement, les enquêtes sur place ont vite tournées cours, entre le silence des autochtones et la vitesse à laquelle sont mortes les rares personnes que les autorités avaient réussi à identifier. Touché par la détresse de mon ami, j’ai, par la suite, décidé avec un petit groupe d’hommes, au rang desquels votre frère, de créer un petit réseau d’informateurs susceptibles de nous aider à mettre en échec de nouvelles tentatives. Quand ce dernier m’annonça son départ pour l’Afghanistan, il me fit également la promesse de faire quelques recherches sur place. Nous pensions tous, que si l’Egypte abritait un sombre culte, il se pouvait que d’autres parties de l’Empire soit également concernées.
Mycroft marqua un silence, craignant d’avoir réveillé de douloureux souvenirs. Il se leva pesamment et se dirigea vers une vitrine qui abritait quelques bouteilles. Il sortit l’une d’entre elle et versa un peu de son contenu dans deux verres.
— Je sais que vous aviez dit vouloir garder l’esprit clair mais je pense qu’il faudrait plus que quelques gorgées pour que ce ne soit plus le cas.
Il conserva le verre dans sa main, faisant lentement tourner le breuvage à la couleur ambrée des plus engageantes.
— Pour être franc, à ce jour nous n’avons pas mis d’autres machinations au jour. La triste affaire de Whitechapel nous a fait nous poser beaucoup de questions. Je sais l’homme capable des pires bassesses mais taxez-moi d’idéalisme si vous le souhaitez, j’avais encore au plus profond de moi la volonté de croire qu’un sujet de sa majesté ne puisse faire montre d’une telle vilenie. Je m’en suis ouvert auprès de quelques membres du Traveller’s que je sais discrets et grand voyageurs. L’un d’entre eux m’a confirmé que la ritualisation avec laquelle ses crimes atroces étaient perpétrés pouvait laisser penser à quelques sabbats, pour reprendre ses mots, d'usage dans certaines régions reculées et lors desquels étaient offert en sacrifice des organes prélevées sur divers victimes. Je puis même vous dire maintenant, qu’en parallèle des investigations de l’inspecteur Abberline, un petit groupe de policier a enquêté dans ce sens sans rien trouver de concluant. Mon frère m’a détrompé, il est arrivé à ses propres conclusions, qu’il n’a pu me révéler, la Couronne lui ayant demandé un silence absolu. Quoi qu’il en soit, cela a évidemment suffit à me convaincre que j’étais, au moins dans ce cas, un digne émule de Candide. Nonobstant, je reste persuadé que ce qui ne s’est pas révélé vrai dans ce cas de figure pourrait malgré tout se vérifier une fois encore dans l'avenir ; les personnes disparaissant chaque jour sans laisser de traces ni de proches éplorés sont impossibles à dénombrer. Sans que cela ne confère à l’obsession, ni même à la marotte, depuis maintenant près de treize ans, je continue de veiller inlassablement.

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04 juil. 2017, 11:17

Après une pause silencieuse, qui à l’évidence lui parut désireuse de prolonger sa nature, le seigneur posa sa simple parole :
— Est-ce là tout ? dit le Comte, sa trame sonore, à la tonalité monocorde ponctuée par l’absence de geste ou de battement de cils, contribuait à une tension dérangeante.
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19 juil. 2017, 12:00

Mycroft n’était pas du genre à se laisser facilement désarçonner et encore moins à le laisser paraître. Dieu sait que les excentricités de certains membres du Diogene’s Club l’avait mis à rude épreuve ; toujours, il avait su s’en accommoder. Pourtant son interlocuteur tout en économie de gestes comme de paroles, le mettait mal à l’aise, ce qu’attestait les quelques rides brusquement apparues sur son vaste front.
— Pas tout à fait… sa voix elle-même trahissait une légère nervosité. Déjà, je ne vous cacherai pas que votre opinion m’intéresse, quand bien même elle devrait se ponctuer d’une franche incrédulité ; ensuite, j’ai une question qui me brûle les lèvres. Le sujet est délicat et cela pourrait vous fâcher. La bienséance voudrait d’ailleurs que je renonce à vous la poser ou dû moins que j’y sursoie mais je ne peux m’y résoudre.
— Auriez-vous récupéré des documents ou des notes de votre frère qui à la lumière de ce que je viens de vous révéler pourraient m’être d’une quelconque utilité ?

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24 août 2017, 12:23

Le Comte soupira en frottant inconsciemment l’os sous son oreille.
— Il m’est d’avis quelques remarques, assurément. Telle celle que vous devez avoir pour nature ou matière à peu vous inquiéter du regard d’autrui pour exposer de pareils blasphèmes impies au tout-venant, même chez vous. Ou que vos lectures sont de celles écrites par mon congénère, Mr Conan Doyle, mais qui, lui, en guise d’excuses aurait celles d’être né à Édimbourg et avant tout de prétendre à n’être que médecin ; et s’il est un acquis c’est bien celui que les hommes de sciences sont doués d’une grande imagination maladroite.
Il avait répondu avec un flegme énorme, s'efforçant de singer – à la perfection – celui des Anglais.
Après de tels énonciations et propos, flirtant dangereusement avec les élucubrations ésotériques, un autre accueil que celui de l’incrédulité aurait voulu à son auteur d’être traité au mieux d’affabulateur, de téméraire scandaleux et d’arrangeur du hasard. Au pire d’esprit dérangé. Pourtant, nullement bouleversé par les confidences de l'éminence grise, le Comte alla jusqu’à oser l’improbable : il sourit.
— Nonobstant, il m’est surtout d’avis qu’il vous aurait été plus favorable de me signifier votre requête en paraphrase du pli de respect que vous m’adressiez alors, afin de nous éviter de perdre les semaines de voyage.
Dulcius ex asperis.
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Dr Stapelton
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24 août 2017, 23:10

Mycroft nullement troublé par la répartie de son interlocuteur, sourit avant de répondre.
— Pas seulement les médecins. Les anglais, les britanniques irais-je jusqu'à dire, sont nombreux à aimer se faufiler entre les mailles de la science; pour autant bien peu seraient prêt à le reconnaître. J'ai même le sentiment que plus la science avance à pas de géants, plus ce besoin est impérieux. Sinon pourquoi la moitié des demeures de notre île seraient-elles hantées? il me semble d'ailleurs que plus nous remontons vers le nord, plus les cas sont fréquents. Et que dire de ce besoin tout aussi impérieux d'essayer d'entrer en contact avec le monde de l'au-delà. Depuis quelques temps maintenant, les spirites, comme on les appelle, ont pignon sur rue....
Le visage de Holmes qui avait pris des teintes rubicondes, sa faconde, montraient toute la passion qui animait son propos. S'en rendant soudainement compte, il se ressaisit pour reprendre avec un débit plus posé.
— Néanmoins, certains d'entre-nous ont en permanence les deux pieds fermement posés au sol et n'en démordent pas. Comment aurais-je donc pu vous poser une telle question par écrit? Je ne l'ai jamais sérieusement envisagé. Cela aurait été totalement déplacé... même là, maintenant que nous sommes face à face, cela me semblait encore bien cavalier et j'ai hésité avant d'aborder le sujet. Je voudrais aussi préciser une dernière chose. N'allez pas croire que je sois prêt à prêter foi à tout et n'importe quoi; je m'efforce d'avoir l'esprit ouvert sans sombrer dans la crédulité. Je ne sais pas si la science est capable de tout expliquer. Ce dont je suis sûr par contre, c'est qu'il y a quelques années nous n'étions pas capables de définir certains phénomènes et encore moins de les dupliquer. Aujourd'hui les jours de nos bec de gaz sont comptés, remplacés qu'ils sont petit à petit par l'éclairage électrique, que d'aucuns voient encore aujourd'hui comme quelque chose de quasiment magique.

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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25 août 2017, 17:35

Le Comte lui fit un petit signe de la main lui enjoignant obligeamment de se taire.
— Si, dans un essai plus littéraire que les sciences, la plume du penseur trace à tue-tête pour décrire ses différents états de conscience, les volubiles récompensent des babils. Gardons-nous de nous en imposer cette épreuve morale, si elle ne sert pas le propos de Nyarlathotep.
À n’en pas douter, le verbiage incessant de Mycroft avait jeté le Comte dans une espèce de chiffonnement. Il lui aurait volontiers arraché la langue.
— Quels délais raisonnables vous faut-il pour mettre en ordre vos obligations ? Vous serez mon invité, naturellement.
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Dr Stapelton
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31 août 2017, 19:08

Le temps suspendit son vol. Nulle répartit ne jaillit. Mycroft semblait figé et, sans la pâleur presque maladive qui venait de changer radicalement sa physionomie, rien n’aurait laissé pensé qu’il avait bien entendu le Comte. De longues et pesantes secondes s’écoulèrent avant qu’enfin il ne réagisse. Ce fut d’abord une main tremblante, qui confirma que la vie l’habitait toujours. Il porta le verre, qu’il tenait toujours, à ses lèvres, le serrant à en faire blanchir les jointures de ses doigts. Il le vida d’un trait avant de le poser non sans peine.
— Vous… vous avez l’art et la manière de surprendre vos interlocuteurs. Ou diable avez-vous récolté de telles connaissances ?

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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05 sept. 2017, 15:47

— Au juste, répondit le Comte avec fermeté. Sous quels délais donc ?
Mycroft instillait au Comte une dose de dégoût dans l’âme, ses commotions violentes, ses sueurs de quant-à-soi, qui se mêlaient aux scènes tragi-bouffonnes. Et sa langue ! Le Comte regrettait d’avoir besoin de cette… flaque humaine.
— Si vous partez de grand matin le jour suivant du mien, je vous annoncerai pour fixer toutes les haltes et disposer tous les relais.
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Dr Stapelton
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11 sept. 2017, 18:29

— Deux jours me suffiront. Le visage de Holmes resta neutre en dépit d’un ton sensiblement rafraîchi.

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