Comme un air de printemps

Hiver 1890, Londres, capitale d’un fier Empire Colonial qui peut s’enorgueillir de ne jamais voir le soleil se coucher sur ses terres. Centre mondial des affaires et du commerce, c’est un colosse aux pieds tendres qui peine à se relever des terribles meurtrissures que lui a récemment infligé un impitoyable boucher. La dichotomie de contrastes qu’elle offre habituellement est depuis peu masquée par un smog omniprésent. La richesse côtoie la misère dans un improbable melting pot. À peine quelques centaines de mètres séparent les riches hôtels particuliers des rues sordides de Whitechapel où aiment à s’encanailler une frange de la noblesse et de la bourgeoisie. La chape de plomb, un temps soulevée, s’est à nouveau abattue sur ce quartier de sinistre réputation. En dépit de tout cela, les affaires continuent de se conclure, il s’y déroule toujours des soirées huppées, où la pudibonderie victorienne est souvent mise à mal. Les clubs, des plus sélects aux plus obscurs, ne cessent d’accueillir leurs membres triés sur le volet ; les populations de l’East End n’en finissent pas de battre le pavé, l’échine courbée, à se demander où ils dormiront ce soir et s'ils éviteront pour cette fois les affres de la faim.
Pourtant, sans que la moindre rumeur ne bruisse, se pourrait-il que quelque chose se prépare ? Inflexibles, les Parques filent la trame du destin et celui de quelques rares élus va se retrouver lié, de bien curieuse manière, à un tragique évènement venant de se produire à deux pas de Regent’s Park, dans un petit appartement sis au premier étage du 221b Baker Street…

[William Shakespeare a écrit : « L'immonde est beau et le beau, immonde. Planons dans le brouillard et les miasmes du monde. »]

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Dr Stapelton
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18 août 2016, 15:31

A en croire le calendrier grégorien, l'une des rares concessions faites aux catholiques par la Grande-Bretagne, le printemps aurait débuté voilà quelques jours. A en juger par les frimas et les deux pouces de neige tombés en quelques heures, il semblerait qu’il ait comme à son habitude, du mal à trouver le chemin des Hautes Terres d’Ecosse. Le feu qui crépitait joyeusement dans la cheminée monumentale du salon peinait à repousser le froid et laissait le champ libre aux douleurs rhumatismales qui se rappelaient au bon souvenir du Comte. Un toussotement discret arracha ce dernier de la contemplation des flammes dans laquelle il s’était perdu.
— Que Monsieur le Comte me pardonne, mais le courrier vient d’arriver.
Le majordome, à la fois secrétaire et factotum, s’occupait directement des questions triviales, telles que le paiement des fournisseurs ; aussi n’y avait-il qu’une lettre posée sur le plateau qu’il présenta d’un geste sûr. Un coupe papier, en argent finement ciselé, attendait de remplir son office auprès d’une enveloppe d’un papier de très bonne qualité sur lequel on aurait pu s’attendre à voir des armoiries. Pourtant ce n’était pas le cas. Posé de l’autre côté, un verre réchauffait le cœur à la seule vue du liquide ambré qu’il contenait.

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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11 sept. 2016, 01:54

Le Comte baissa la tête et resta silencieux, effrayé de la violence des pensées que l'arrivée de cette lettre réveilla dans ses envies. La perspective d'une nouvelle, fut-elle bonne comme mauvaise, le contrariait. Il aurait aimé verrouiller la porte. Il aurait aimé que cet isolement dans une de ses thébaïdes d'abandon ne soit jamais interrompu. Il aurait dû. Il avait froid. Les flammes ne réchauffaient jamais son corps ; pour le coeur, il vida son verre ; pour l'esprit… pour l'esprit.
Le Comte se força à s'affecter d'un sourire, et qu'il souriait bien.
— Je vous en prie, Laoghaire, prononça-t-il, avant de décacheter le pli. J'envisageais de toutes les manières d'aller monter à cheval pour profiter de la fraîcheur de la lande.
Ses yeux le parcoururent ; il aurait aimé ne pas avoir à le lire.
Dulcius ex asperis.
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14 sept. 2016, 15:43

— Dois-je préparer votre monture, my Lord ou préférez-vous vous en charger de par vous-même ?
Laoghaire profita d’une légère hésitation du Comte au moment de sortir la feuille de l’enveloppe pour poser sa question. Placé légèrement en retrait, il attendit respectueusement la réponse de son maître.
La lettre, au demeurant fort courte, arborait, dans son angle supérieur droit, un D stylisé, noir dans un cercle gris argenté :
  • « Monsieur le Comte, le Diogènes Club, vous présente ses plus sincères condoléances pour la tragédie qui vous a frappé. Ne faisant pas partis de vos proches, nous avons préféré respecter un délai de bonne convenance avant d’entrer en contact avec vous.
    Nous sommes un des plus anciens cercles du Royaume-Uni, un des plus fermés également. Comme vous le savez peut-être, nous n’acceptons jamais de candidatures spontanées et nos membres ne doivent jamais se prévaloir de leur appartenance au Diogènes Club. Nous entretenons des liens de longues dates avec votre famille et nous serions désireux de les voir se perpétuer par votre entremise.
    Pour le cas ou notre demande aurait retenu votre attention, et dans le but de répondre à toutes les questions que vous vous poseriez, nous souhaiterions vous convier à venir nous rencontrer, à la date et l’heure de votre choix.
    Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Comte, l’expression de notre respectueux souvenir. »
    — Mycroft Holmes

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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16 sept. 2016, 10:26

Le Comte l'avait attendue ; la réplique des réponses ; la rechute d'un cycle. Enfin, au bout du compte.
Il sourit, aux anges.
— Quelle heure sommes-nous, Laoghaire ?
Il avait eu beau, à la lecture de cette lettre et dans un écho d'humeur, jouer avec, la montre à gousset du Comte n'indiquait jamais plus autre chose que son propre temps, figée entre deux heures, indistinct.
Dulcius ex asperis.
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20 sept. 2016, 10:51

La réponse tomba sans même que le majordome ait eu besoin de consulter sa propre montre.
— La matinée touche à sa fin. S'il convient à sa seigneurie, le déjeuner pourra être servi d'ici une heure. Néanmoins, si vous avez toujours pour projet de vous rendre sur la lande, nous tiendrons votre repas au chaud.

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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20 sept. 2016, 22:48

— Pour ma monture, n’en faites rien, Laoghaire. L'humeur du temps étant incertaine, et pleine de surprises, comme cette vieille carne, je préfère déjeuner en temps et à votre heure.
Le Comte était ainsi. Parfois, et souvent, il semblait exister un décalage et un réajustement continuels. Son propre temps. Ses propres pensées. Mû par ses envies.
— De plus, vous aurez mieux à faire : j'aimerais que vous fassiez contacter l'étude Upthorpe, afin qu'il me rende une visite dans nos meilleurs délais. En personne, et pas l'un de ses clercs, j'insiste sur ce point. Puis, afin que j’évite d’éventrer tout le domaine à sa recherche, pourriez-vous me retrouver ce sac : celui du front, le marin, en toile qui ligote ses entrailles d’une corde de pendu à son extrémité. Je vais en avoir besoin pour me rendre à Londres.
Dulcius ex asperis.
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30 sept. 2016, 14:14

— Bien my Lord.
Laoghaire s’éloigna un court instant vers l'angle de la pièce ou était habillement dissimulé un ensemble de clochettes permettant de communiquer rapidement à travers le vaste domaine.
— Je vais faire préparer la voiture et envoyer Le jeune Aodh quérir Maître Upthorpe. J’insisterai sur l’urgence de votre requête. Votre sac marin est quand à lui rangé dans le grand débarras du premier étage, je le ferai déposer dans votre chambre. Puis-je faire autre chose pour sa Seigneurie ?

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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07 oct. 2016, 21:41

Le Comte se tut. Laoghaire lui connaissait bien cette répartie, tout était comme à son bon vouloir. Et le silence retombé sur son isolement, qui venait de vivre un remarquable moment de chambardement, dans le temps qu'il lui resterait avant de devoir y être de nouveau confronté, le Comte isola les souvenirs qu'avaient éveillés les mots de la lettre pour laisser place aux douleurs concentrées. Les mêmes qui rendaient plus lucides encore ses innées facultés, en vue d'appréhender la suite, les décisions et leurs corollaires déjà déterminées.
«  Londres… », pensa-t-il. « Un miasme contagieux, du bouge où l'on s'entasse, à l'usine où l'on suffoque, et le moyen dans tous les cas morbides de distinguer la cause de ses effets. »
Dulcius ex asperis.
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13 oct. 2016, 15:52

De nouveau solitaire, le Comte retourna à ses méditations. Le temps semblait comme suspendu; le soleil absent, nulle lumière ne venait se kaléidoscoper dans les surfaces réfléchissantes que le salon ne manquait pas d'offrir à son bon spectacle.
Sous son regard, les flammes semblaient danser silencieusement. A en croire la fumée qui commençait à brouiller sa vision, la cheminée devait avoir quelques problèmes de tirage. Quelle était cette odeur ? Apparemment un pot-pourri de poisson pas frais, mâtiné d’excréments et autres joyeusetés, agressaient ses sens olfactifs. Des cris de mouettes invisibles lui vrillaient les oreilles. La brume, dense, lui masquait tout ; il ne voyait même pas ses pieds. S’il avançait, le sol pourrait très bien se dérober sans qu’il puisse s’en apercevoir à temps. Sa canne, sa précieuse canne qui ne le quittait pourtant jamais, lui faisait défaut. Cette épaisse purée de pois, il la connaissait. Bien loin des brouillards écossais, elle était l’apanage de Londres.
Un instant chez lui, celui d’après dans la capitale honnie. Ce pouvait-il qu’il perdre la tête…
Une corne de brume déchira brusquement l’air ; le faisant violemment sursauter. Il était toujours chez lui tout aussi confortablement installé devant la cheminée et ce n’était que La cloche du déjeuner qui venait de le ramener à la réalité.

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Comte Angus A. MacFhearghuis de Galloway
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13 oct. 2016, 16:07

« Londres… », ressassa-t-il, dans un sourd murmure cette fois. « Un miasme contagieux, du bouge où l'on s'entasse, à l'usine où l'on suffoque, et le moyen dans tous les cas morbides de distinguer la cause de ses effets. »
La fin. La faim.
Dulcius ex asperis.
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